Cancer colorectal et grossesse

Une prise en charge au cas par cas

Publié le 14/10/2013
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LE CANCER COLORECTAL au cours de la grossesse est rare : son incidence est estimée à environ 1/30 000 grossesses, chiffre qui tend à augmenter avec la plus grande fréquence des grossesses tardives, au-delà de 40 ans. La majorité des cas sont des cancers sporadiques, mais un dépistage oncogénétique est réalisé après la grossesse.

Ce n’est pas le cancer le plus fréquent au cours de la grossesse (de la 3e à la 7e place selon les études). Hormis les complications mécaniques, il n’a pas d’impact sur la grossesse et, inversement, la grossesse ne modifie pas l’évolution du cancer, même si des récepteurs à la progestérone et aux estrogènes sont présents dans 15 à 20 % des cancers colorectaux.

Le diagnostic est souvent tardif, plus fréquemment aux stades III ou métastatique que dans la population de femmes du même âge.

Ceci s’explique par la difficulté diagnostique face à des symptômes aspécifiques souvent mis sur le compte de la grossesse : troubles digestifs (constipation, pesanteur abdominopelvienne), anémie ou rectorragies, trop facilement attribuées à des hémorroïdes.

« L’une des règles doit être d’explorer systématiquement en présence d’un saignement (méléna ou rectorragies), d’une anémie inhabituelle ou d’émissions afécales et en cas de persistance des symptômes digestifs malgré un traitement symptomatique, insiste le Pr Julien Taïeb. La réalisation d’une rectosigmoïdoscopie, recommandée par la Société américaine d’endoscopie, est sans conséquences maternelles et fœtales (un avis obstétrical est demandé si besoin) et permet de découvrir la majorité des tumeurs, qui sont dans 60 % des cas de localisation rectosigmoïdienne ». Elle est complétée le cas échéant par une coloscopie complète sous anesthésie générale, après décision multidisciplinaire. Échographie abdominale, échoendoscopie et dosage des marqueurs peuvent aider au diagnostic et au bilan.

Le bilan d’extension pose le problème de la radioprotection du fœtus. Au premier trimestre, le scanner est contre-indiqué ; une IRM, dont les effets sont mal connus, peut être réalisée en cas de nécessité. Aux deuxième et troisième trimestres, il est possible de faire un scanner. Le scanner thoracique, avec protection fœtale, est préférable à la radiographie pour la recherche de métastases pulmonaires.

La prise en charge thérapeutique dépend du stade évolutif du cancer et du terme de la grossesse. « Ce sont des situations complexes, le diagnostic est souvent dévastateur pour la femme, son entourage mais aussi pour les soignants et la décision découle d’une démarche multidisciplinaire qui doit impliquer obstétriciens, psychologue et éventuellement pédiatre en plus des participants classiques », insiste le Pr Taïeb. Au premier trimestre, la chirurgie accroît le risque de fausse couche, la chimiothérapie est contre-indiquée (le 5-FU est tératogène), tout comme la radiothérapie, même à faible dose. Il est donc préférable dans ce contexte de recommander l’interruption de la grossesse et proposer une transposition et/ou cryopréservation ovarienne pour préserver la fertilité ultérieure si une radiothérapie est envisagée. En cas de refus, une exérèse chirurgicale est réalisée si la maladie est limitée ; si elle est plus avancée, une chimiothérapie d’attente pourra être réalisée dès le deuxième trimestre de la grossesse.

Au troisième trimestre, la décision est moins complexe et l’accouchement peut être déclenché à partir de 32 semaines d’aménorrhée, par voie basse ou césarienne. La chirurgie carcinologique est de préférence décalée par rapport à la césarienne pour éviter un surrisque hémorragique mais peut dans certains cas se faire dans le même temps. Le geste de préservation ovarienne peut être réalisé en même temps que la césarienne si une radiothérapie est envisagée.

C’est en fait au deuxième trimestre que la démarche thérapeutique est la plus complexe et découle là encore d’une décision multidisciplinaire, tenant compte des souhaits de la femme et de son entourage. À côté de l’interruption de la grossesse, deux attitudes sont possibles en pratique : retarder le début du traitement jusqu’à ce que l’accouchement soit envisageable ou faire une chimiothérapie d’attente. Les données sur l’utilisation du 5-FU à ce stade sont rassurantes, elles sont plus parcellaires pour l’oxaliplatine (pas d’effet délétère sur une dizaine de cas rapportés avec 3 ans de recul) et quasi-inexistantes sur l’irinotécan. Certaines femmes préfèrent l’abstention thérapeutique avec la santé de l’enfant comme objectif prioritaire ; une stomie de décharge peut parfois être proposée alors si la tumeur est obstructive.

D’après un entretien avec le Pr Julien Taieb, chef du service d’hépato-gastro-entérologie et oncologie digestive, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris

 Dr ISABELLE HOPPENOT

Source : Bilan spécialistes