Les Antilles françaises font figure d'exception. Alors que le chlordécone a été peu utilisé dans le monde, il a été répandu de manière intensive en Martinique et en Guadeloupe entre 1972 et 1993. En 2019, la question de la part des cancers de la prostate attribuable au chlordécone outre-mer reste à trancher.
En effet, la Guadeloupe et la Martinique ont des incidences de cancer de la prostate, respectivement, de 173/100 000 personnes années et de 164/100 000 en Martinique pour la période 2007-2017 contre 88,8/100 000 en France métropolitaine selon Santé publique France. Pour autant, ces fortes prévalences ne sont pas forcément imputables au chlordécone.
La toxicité du chlordécone est connue depuis le début des années soixante, et surtout à la suite de l'intoxication des employés américains de l'usine de Hopewell, médiatisée à partir de 1975. Dès 1979, le chlordécone figure sur les listes du centre international de recherche sur le cancer. Il y est qualifié de cancérogène « possible » depuis 1987, date à laquelle cette catégorie a été créée.
Lors de son audition devant la commission d'enquête parlementaire sur l'utilisation du chlordécone et du paraquat, le PDG de l'INSERM Gilles Bloch avait souligné que « l’incidence du cancer de la prostate aux Antilles est du même ordre que celle observée chez les populations dites afro-américaines aux États-Unis et afro-caribéennes et africaines résidant au Royaume-Uni [...] il n’y a pas un surrisque majeur de cancer de la prostate en termes d’incidence par rapport à des populations génétiquement comparables ».
Le Pr Bloch avait insisté en outre sur l'importance de mener des « études mécanistiques, et on est incapable de définir la fenêtre d'exposition des personnes ayant développé un cancer de la prostate ».
Étude Karuprostate
À défaut de connaître précisément les mécanismes, plusieurs études ont tenté d'établir un lien statistique entre exposition au chlordécone et surrisque de cancer de la prostate. C'est notamment le cas de l'étude Karuprostate, publiée en 2010 dans le « Journal of clinical oncology ». Cette étude cas-témoins en Guadeloupe compare les concentrations plasmatiques de chlordécone de 709cas de cancer de la prostate à ceux de 722 témoins.
Les auteurs ont constaté un pourcentage significativement plus important de personnes appartenant au quartile d'exposition le plus élevé parmi les cas de cancer, par rapport aux témoins. Le risque de cancer est significativement augmenté de 80 % chez les sujets ayant des concentrations supérieures à 1 μg/L.
« Il ne faut pas attribuer une signification clinique prédictive à ce seuil de 1 μg/L, prévient le Pr Luc Multigner, premier auteur de l'étude. Le chlordécone a une demi-vie dans l'organisme de 6 mois et n'est pas un bon marqueur de risque individuel à long terme. Il revient aux pouvoirs publics autorités de santé d'estimer la part des 1 000 cancers de la prostate diagnostiqués chaque année dans les Antilles, qui peut lui être attribuée. »
Les premiers résultats d'une cohorte de 14 800 travailleurs agricoles, commanditée par SPF, indiquent qu'il n'y aurait pas de surmortalité toutes causes ni de surmortalité par cancers de la prostate chez les travailleurs agricoles. « Malheureusement, nous n’avons pas encore les moyens de distinguer ceux qui ont été effectivement exposés professionnellement au chlordécone de ceux qui ne l’ont pas été », souligne le Pr Multigner.
Plus récemment, une autre étude dirigée par les Prs Multigner et Blanchet et publiée dans « The International Journal of Cancer » montrait un risque de récidive (caractérisé par une augmentation du PSA) du cancer de la prostate multiplié par 2,51 chez les patients les plus exposés au chlordécone, au cours d'un suivi de 6,1 ans après la chirurgie.
Une nouvelle cohorte de malade, KP-Caraïbes, est en cours de constitution, dans le cadre du plan national chlordécone. Elle étudiera l’impact des expositions au chlordécone sur la progression de la maladie en fonction des options thérapeutiques.
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