Usage médical du cannabis

Un cadre pratique pour débuter l’expérimentation

Par
Publié le 21/11/2019
Article réservé aux abonnés
Alors que l’usage thérapeutique du cannabis est régulièrement mis en avant dans les médias, et que les attentes des patients sont fortes, les preuves formelles de son intérêt font pour l’instant défaut. Un constat qui a conduit l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à mettre en place un comité scientifique pluridisciplinaire pour donner un cadre à l’expérimentation du cannabis médical en France.
Presque tout reste à faire pour définir les dosages et les voies d’administration du cannabis thérapeutique

Presque tout reste à faire pour définir les dosages et les voies d’administration du cannabis thérapeutique
Crédit photo : Phanie

Après un travail préliminaire d’analyse de la littérature et des expériences menées dans d’autres pays, les experts réunis l’an dernier par l’ANSM avaient conclu à la pertinence de l’usage du cannabis thérapeutique (défini par le recours à des dérivés de la plante de cannabis à l’exclusion des produits ayant une AMM ou une ATU) dans certaines situations cliniques : douleurs neuropathiques réfractaires, soins de support en oncologie, situations palliatives, épilepsies réfractaires et spasticité douloureuse dans la sclérose en plaques. Créé mi-octobre, un comité scientifique pluridisciplinaire, réunissant professionnels de santé et représentants de patients, est chargé de donner un cadre précis aux expérimentations.

« L’idée d’utiliser le cannabis à des fins thérapeutiques n’est pas nouvelle, rappelle la Dr Marguerite d’Ussel, responsable de la consultation douleur au sein du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph. Utilisé au XIXe siècle pour réduire douleurs et nausées, il a été ensuite mis de côté car classé comme drogue sans usage médical par la convention sur les stupéfiants. Et c’est la découverte dans les années 1990 des récepteurs endocannabinoïdes (CB1 et CB2) qui a permis de mieux comprendre son mode d’action et de raviver l’intérêt pour un usage médical ».

Deux principaux composants

De façon globale, le cannabis module la neurotransmission et a des effets centraux sur le bien-être, les douleurs, les nausées, les vomissements… Mais il est riche de plus d’une centaine de composants, dont les deux principaux sont le tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD), aux affinités différentes pour les récepteurs CB1 et CB2. Le premier a ainsi un effet psychoactif fort, tandis que le second a un effet plus médicinal. « Tout l’enjeu des recherches est donc de trouver le bon équilibre entre ces deux principaux composants en fonction des patients et des indications », souligne le Dr d’Ussel.

Un bénéfice thérapeutique encore à prouver 

L’analyse de la littérature ne permet pas aujourd’hui de conclure à un réel bénéfice du cannabis médical, notamment parce que les études ont utilisé des dosages et des modes d’administration très différents. Dans un contexte de soins palliatifs, un travail publié l’an dernier avait souligné l’absence d’effet du cannabis, versus placebo, sur l’anorexie et la prise de poids et une tendance statistique à l’amélioration de la douleur et au ressenti global du patient. Mais les auteurs n’avaient retenu aucune des études ayant évalué son impact sur les nausées et vomissements, car trop anciennes avec des comparateurs aujourd’hui obsolètes (1). L’analyse de 47 essais randomisés dans les douleurs chroniques, malgré une tendance à la diminution des douleurs, n’a pas non plus permis de recommander l’usage du cannabis dans ce contexte, par manque de puissance et de qualité méthodologique (2). Pas de conclusion pour les mêmes raisons à l’issue d’une revue de la littérature sur l’usage médical du cannabis (3).

Quelles doses et voies d'administration ?

Tout reste à faire ou presque donc pour définir les dosages et les voies d’administration, en sachant que la voie inhalée est d’emblée exclue du fait de ses effets délétères sur les voies respiratoires.

Le comité devrait prochainement sélectionner des centres expérimentateurs, sur la base du volontariat, en s’appuyant sur les Centres d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) ou les Centres de lutte contre le cancer (CLCC). Une fois sélectionnées, les équipes recevront une formation en e-learning avant de pouvoir se lancer dans les prescriptions, avec titration progressive et délivrance initiale par la pharmacie hospitalière. Parallèlement, les patients seront inclus dans des registres, dont l’analyse, on l’espère, devrait permettre de définir les dosages et les voies d’administration les plus adaptés à chaque situation.

D’après un entretien avec la Dr Marguerite d’Ussel, groupe hospitalier Paris Saint-Joseph, Paris.
(1)  Mucke, M., Weier, M., Carter, C., et al. Systematic review and meta-analysis of cannabinoids in palliative medicine. Journal of Cachexia, Sarcopenia, and Muscle;9;2018:220-34.
(2)  Stockings, E., Campbell, G., Hall, W. D., Nielsen, S., Zagic, D., Rahman, R., et al. (2018a), Cannabis and cannabinoids for the treatment of people with chronic non-cancer pain conditions: a systematic review and meta-analysis of controlled and observational studies, Pain 159, pp. 1932-1954.
(3)  Whiting, P. F., Wolff, R. F., Deshpande, S., Di Nisio, M., Duffy, S., Hernandez, A. V., et al. (2015), Cannabinoids for medical use: a systematic review and meta-analysis, JAMA 313, pp. 2456-2473.

Dr Isabelle Hoppenot

Source : lequotidiendumedecin.fr