Les tumeurs intracanalaires papillaires et mucineuses du pancréas (TIPMP) sont des lésions kystiques précancéreuses développées aux dépens des canaux principal ou secondaires, de découverte majoritairement fortuite. Leur prévalence est probablement très élevée, estimée à 15 % de la population âgée de plus de 60 ans (1,2). Seule une très faible partie de ces patients auront des lésions évolutives et potentiellement invasives. Cependant trois raisons principales nous obligent à proposer à tous une politique de surveillance : 1/l’absence d’outils diagnostiques sensibles et spécifiques quant au grade de dysplasie des lésions; 2/le pronostic sombre du cancer du pancréas 3/l’absence de connaissances du (des) facteur(s) de risque de la sous population des TIPMP qui évolueront vers le cancer. Ce suivi est coûteux, potentiellement invasif (en cas d’usage répété de l’échoendoscopie nécessitant une anesthésie générale) et imparfait (développement de cancer d’intervalle entre 2 examens de surveillance).
En 2016, comme chaque année, la littérature a été très prolixe sur le sujet. À ce jour, l’atteinte du canal pancréatique principal reste une indication opératoire formelle en raison du risque élevé de cancérisation, de 50 % à 5 ans (3). Pour l’atteinte des canaux secondaires, un suivi est conseillé. La conférence d’experts internationaux de 2012 avait énoncé des critères (4) :
- de haut risque devant pousser à la chirurgie : 1/présence d’un ictère chez un patient présentant une lésion kystique de la tête du pancréas ; ou 2/un critère morphologique parmi les suivants : présence d’une masse solide au sein de la lésion kystique; présence d’un nodule mural prenant le contraste; atteinte du canal pancréatique principal > 10 mm de diamètre;
- « d’inquiétude » (« worrisomes ») devant intensifier les investigations : kyste > 3 cm, diamètre du CPP de 5 à 9 mm, nodule mural sans prise de contraste.
L’étude de Crippa et al. en 2016 (5), a évalué le risque de cancérisation en cas de présence de worrisomes chez des patients non opérables en raison de comorbidités. Parmi 281 patients, 18 % avaient des critères de haut risque et 82 % des worrisomes. Les survies globales et sans récidive (SSR) étaient de 81 et 89,9 %. Douze pour cent développaient un cancer au cours du suivi qui était en moyenne de 5 ans. L’atteinte exclusive des canaux secondaires était de meilleur pronostic qu’une atteinte mixte (survie globale à 5 ans : 86 vs 74,1 % ; SSR : 97 vs 81,2 %). Les patients avec worrisomes avaient une meilleure SSR à 5 ans que ceux à haut risque : 96,2 vs 60,2 %. Cette étude est très importante car elle revient sur des données déjà anciennes de la littérature. Le risque de cancer de 50 % à 5 ans en cas d’atteinte du CPP (si l’on considère qu’il y a atteinte au-delà de 5 mm de diamètre) est probablement surestimé. La présence de critères de haut risque doit inciter à une résection car le risque de mortalité était de 40 % mais la présence de worissomes laisse un peu plus de latitude car la SSR était de 96 %.
Un suivi annuel
Cela permet-il de remettre en cause le schéma de suivi proposé en 2012 par les experts ? De nombreux cliniciens s’interrogent sur le bien-fondé d’un suivi annuel et ad vitam pour toute TIPMP, comme proposé par les recommandations d’experts publiées en 2012. La société américaine de gastroentérologie a même publié cette année des guidelines, ne proposant qu’un suivi tous les 2 ans en cas de kystes < 3 cm et d’arrêter la surveillance après 5 ans en cas de non évolutivité des lésions (6). Il faut garder à l’esprit que nous n’avons pas encore toutes les réponses aux trois problématiques énoncées en introduction. Les recommandations américaines sont très critiquées en Europe et ne sont pas suivies. Il a été clairement démontré que des cancers peuvent survenir après 5 ans de suivi, et que ce risque augmente avec l’âge… Les experts internationaux se sont réunis en août 2016 pour une mise à jour des recommandations de 2012. Même si quelques modifications seront faites, le suivi restera sûrement annuel.
Des mutations de GNAs
L’idéal pour la prise en charge des patients serait de trouver un outil simple pour le diagnostic de TIPMP et du grade de dysplasie en particulier. L’avenir réside probablement dans la biopsie liquide qui devrait émerger dans la prochaine décennie. Berger et col. ont publié dans Gastroenterology (7) les premiers résultats de leur étude confirmant la faisabilité de la détection dans le sang des fragments d’ADN circulants issus de cellules dysplasiques chez des patients porteurs de TIPMP. Il était également possible de détecter des mutations spécifiques de TIPMP comme des mutations de GNAS. Ces résultats sont très prometteurs.
Hôpital Beaujon, Clichy
(1) Farrell JJ et al. Gastroenterology 2013;144:1303-15
(2) Fong ZV et al. Ann Surg 2016;263(5):908-17
(3) Lévy P et al. Clin Gastroenterol Hepatol 2006;4(4):460-8
(4) Tanaka M et al. Pancreatology 2012;12(3):183-97
(5) Crippa S et al. Gut 2016 Jan 7
(6) Vege SS et al. Gastroenterology 2015;148:819 – 22
(7) Berger AW et al. Gastroenterology 2016;151(2):267-70
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