« Contrairement à toutes les autres thérapies du cancer, l’immunomodulation ne vise pas à tuer les cellules tumorales mais à activer les lymphocytes du système immunitaire pour que ces derniers tuent – directement ou indirectement – les cellules tumorales », explique la Pr Laurence Zitvogel, professeure de l’université Paris-Saclay, directrice de l’unité Inserm et du centre d’investigations cliniques à l’Institut Gustave Roussy (IGR), membre correspondante de l’Académie de Médecine. Cette nouvelle approche thérapeutique a confirmé une bonne part de ses promesses à l’ASCO : « la Food and drug administration (FDA) et l’European medicines agency (EMA) ont déjà et vont encore approuver un certain nombre d’anticorps monoclonaux dans les mois à venir. En parallèle, on assiste à une montée en flèche des lymphocytes activés qu’on peut retransférer et qui guérissent certaines leucémies aiguës lymphoblastiques et certaines leucémies lymphoïdes chroniques ».
Aujourd’hui, il existe plusieurs stratégies dans le domaine de l’immunomodulation. « L’une d’elle consiste à retransfuser les lymphocytes aux malades. Cette approche a été développée au cours des dix dernières années. Mais c’est vraiment ces trois dernières années qu’on a obtenu les résultats les plus spectaculaires grâce à l’équipe de Carl June (Université de Philadelphie). Ce dernier a aujourd’hui vendu tous ses brevets à Novartis qui va ainsi pouvoir se lancer dans cette thérapie cellulaire », indique la Pr Zitvogel.
Pourquoi Carl June a-t-il réussi, là où d’autres ont échoué ? « Sa démarche a consisté à modifier le récepteur de reconnaissance du lymphocyte vis-à-vis de la tumeur et, par génie génétique, à cloner des récepteurs de haute avidité dans les lymphocytes pour les rendre très tueurs, explique la Pr Zitvogel. Grâce à cette approche, le lymphocyte T-mémoire, peut présenter à sa surface un anticorps. Il ne le sécrète pas, il l’expose. On se retrouve donc avec tout un pool de lymphocytes exposant pendant très longtemps des anticorps qui reconnaissent la tumeur », et la Pr Zitvogel précise que cette stratégie s’est révélée efficace pour traiter des leucémies T et des leucémies B.
Contre le mélanome, la Pr Zitvogel cite la technique tumor infiltrating lymphocytes (TIL) du Pr Steven Rosenberg (National cancer institute, Bethesda, Maryland), également développée par les Israéliens. « Ils ont trouvé une technique assez simple, peu coûteuse et courte qui permet en une semaine d’avoir un pool de lymphocytes de la tumeur autologue. Ces lymphocytes sont ré-infusés, recirculent dans le sang et se concentrent dans la tumeur pour l’éliminer. Cela marche dans le mélanome, mais aussi dans certains sarcomes », précise-t-elle.
Anticorps anti-CTLA4
Une deuxième stratégie repose sur l’immunothérapie via les anticorps anti-CTLA4. « Cette molécule (l’ipilimumab, BMS) a eu l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) en 2011 aux États-Unis et en Europe. Le problème est que beaucoup de pays n’ont pas voulu rembourser ce traitement, qui marche dans 15 % des cas et coûte 94 000 dollars pour quatre injections. Il faut quand même noter que la France et quelques pays européens ont accepté, après une négociation avec BMS, de le prendre en charge », indique la Pr Zitvogel, en ajoutant que « ce produit peut avoir une forte toxicité mais permet de guérir certains patients avec un mélanome de stade 4, ce qui est quand même un miracle ».
« D’autres médicaments (anti-PD1, et anti-PDL1) sont arrivés l’année suivante et en sont au stade des essais cliniques, ajoute-t-elle. Le problème est que, pour l’instant, ils ne sont accessibles que dans les centres très spécialisés, principalement l’IGR en France. À la rentrée, une indication devrait être posée dans le cancer du poumon en deuxième ligne et dans le mélanome métastatique ».
Échecs et espoirs des vaccins
La troisième stratégie est celle des vaccins. « Elle consiste à monter une immunité spécifique de la tumeur autologue à partir d’un antigène adjuvantisé. Au cours des vingt dernières années, on a connu beaucoup d’échecs, notamment parce qu’on a utilisé des antigènes et des adjuvants qui n’étaient pas les bons », souligne la Pr Zitvogel, en évoquant quand même les perspectives ouvertes par le vaccin à base de cellules dendritiques contre le cancer de la prostate hormonorésistant avec métastases osseuses indolentes de la société Dendréon. « Il est important de souligner que cela a marché en phase III. Le problème est que cette firme n’a pas réussi à avoir un remboursement aux États-Unis, ni à s’étendre en Europe. Un autre obstacle est le fait que le cancer de la prostate hormonorésistant avec métastases osseuses indolentes est une niche déjà prise par trois autres molécules, des inhibiteurs des récepteurs aux androgènes notamment. Du coup, il y a forte concurrence dans ce secteur, ce qui va rendre difficile la diffusion de ce vaccin ».
Selon la Pr Zitvogel, le vaccin de Transgène contre le cancer du poumon est assez prometteur. « Il a donné des résultats probants dans deux essais de phase II randomisés. L’article est en cours de rédaction et, a priori, il devrait y avoir une phase III randomisée. Ce serait le premier vaccin qui marcherait dans le cancer du poumon, puisque ceux de GSK et de Merck ne se sont pas révélés positifs », souligne la Pr Zitvogel. « Dans le domaine des vaccins, les efforts se redirigent désormais vers la redéfinition d’antigènes de cancers qui sont très pertinents, notamment avec les nouvelles techniques de séquençage à haut débit. Maintenant, on séquence les exons des tumeurs des patients. Ces techniques coûtent encore un peu cher mais cela va baisser dans les années à venir. L’espoir est d’arriver à une vaccination très personnalisée pour guérir les patients ».
exergues en option:
Le lymphocyte T-mémoire peut présenter un anticorps à sa surface
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024