Nombre de progrès très attendus ont été présentés lors du congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO), avec notamment beaucoup de données sur les immunoconjugués. Combinant anticorps monoclonaux et chimiothérapies, ces médicaments - qui permettent de cibler davantage la diffusion des agents cytotoxiques au niveau tumoral - se multiplient, avec des résultats positifs dans plusieurs types de cancers.
Le congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) 2022, qui s’est tenu en juin, a été un véritable congrès « du renouveau », estime le Pr Jean-Yves Blay, président d’Unicancer. Et ce, non seulement du fait d’une forte participation – notamment en présentiel, pour la première fois depuis le début de la pandémie de Covid-19 – mais surtout en raison d’une actualité particulièrement « riche » concernant « plusieurs pathologies et plusieurs cibles ».
Parmi les révolutions en marche : celle des immunoconjugués, aussi appelés anticorps armés. Le principe : coupler des chimiothérapies cytotoxiques à des anticorps monoclonaux afin d'augmenter la concentration du principe actif au niveau de la tumeur, tout en épargnant les tissus sains.
Des cibles de plus en plus nombreuses
Certes, l’approche n’est pas nouvelle. À l’ASCO 2021, des travaux encourageants avaient déjà été présentés, et quelques combinaisons de ce type sont déjà utilisées dans certaines indications. Mais désormais, les immunoconjugués semblent véritablement prendre leur envol et « se développent à grande vitesse », probablement sous l’effet de progrès techniques, analyse le Pr Blay. « Les outils se perfectionnent avec de meilleurs cytotoxiques, par ailleurs mieux fixés sur l’anticorps. »
Ainsi, de nouveaux anticorps armés, pour certains dirigés contre de nouvelles cibles, sont testés avec succès. Par exemple, chez des patientes atteintes de cancer du sein métastatique lourdement prétraitées, des données de phases 1-2 retrouvent des signaux d’activité prometteurs (taux de réponse objective de 30 %) avec un anticorps baptisé patritumab conjugué au cytotoxique deruxtecan et dirigé vers le récepteur HER3 – exprimé par 30 à 50 % des tumeurs mais encore ciblé par aucun médicament disponible.
Parallèlement, les immunoconjugués déjà utilisés voient leur spectre d’utilisation s’étendre. C’est le cas, toujours dans le cancer du sein, du sacituzumab-govitecan (Trodelvy) – disponible en accès précoce en France depuis un an et autorisé dans l’Union européenne depuis novembre dernier. Alors que cet anticorps conjugué ciblant le récepteur Trop-2 est indiqué en troisième ligne dans le cancer du sein métastatique triple négatif, l’essai de phase 3 Tropics-02 suggère qu’il pourrait également s’avérer efficace dans certains cancers avancés HER2- mais présentant des récepteurs hormonaux (HR+/HER2-) ayant résisté à plusieurs lignes de traitement. Avec, à 12 mois, un taux de survie sans progression triplé par rapport aux chimiothérapies classiques.
Changement conceptuel
Cette expansion des indications des anticorps armés pourrait amener de véritables changements conceptuels, estime l’oncologue. En témoigne l’étude Destiny-Breast04 menée avec le trastuzumab-deruxtecan (Enhertu). Alors que ce médicament dirigé contre HER2 n’était jusqu’à présent utilisé que dans le cancer du sein avec amplification du gène HER2, « dans les phases premières du développement de la molécule, on avait objectivé des réponses chez des patientes qui avaient une expression faible, voire très faible de la protéine, indépendamment même d’une anomalie du gène », a expliqué le Dr Esma Saada-Bouzid, oncologue médicale au centre Antoine-Lacassagne (Nice), lors d’une conférence de presse post-ASCO d’Unicancer. C’est cette utilisation sur la base d’une simple expression d’HER2 qui a été testée dans Destiny. Avec succès : chez plus de 500 patientes présentant un cancer du sein métastatique ayant déjà reçu jusqu’à deux lignes de chimiothérapie, le trastuzumab-deruxtecan a permis un doublement de la médiane de survie (sans progression et globale) par rapport à une chimiothérapie classique.
Ce travail « va bouleverser les recommandations de pratique clinique et changer notre manière de développer les traitements anti-néoplasique de manière assez profonde », prévoit le Pr Blay. Alors que jusqu’à présent, le développement et le choix d’un traitement étaient fondés sur l’amplification, la mutation ou l’activation d’une molécule critique dans l’oncogenèse, désormais, « la simple expression d’un gène donné permet de guider le traitement ». Un nouveau paradigme qui devrait être exploré dans d’autres cancers associés à une expression d’HER2.