La classification Tumor Node Metastasis (TNM), qui permet de classer les cancers selon leur extension anatomique, constitue actuellement le standard du pronostic pour les cancers colorectaux. Cependant, le devenir clinique des patients est très variable au sein d’un même stade TNM (1). D’autres facteurs pronostiques et théranostiques (i.e. marqueurs prédictifs de réponse aux traitements) sont nécessaires.
L’importance du micro-environnement
L’évolution du cancer ne peut pas simplement être expliquée selon un paradigme « centro-cellulaire », où la cellule cancéreuse accumule des mutations lui permettant d’évoluer de manière autonome, indépendamment de son environnement. De nombreuses études ont tenté d’associer la carte d’identité génétique des tumeurs à l’évolution clinique des patients. L’impact clinique de ces informations est resté modeste. Ces efforts ont cependant abouti à l’émergence de thérapies ciblées sur les addictions oncogéniques de la tumeur.
Il est maintenant bien établi que le micro-environnement – et notamment sa composante immunitaire – a un rôle capital dans l’évolution tumorale, puisque le système immunitaire est capable de reconnaître et de détruire des cellules anormales en voie de cancérisation. Ce concept d’immunosurveillance a été validé par l’étude de Souris déficientes pour des gènes de l’immunité (2). Chez l’Homme, un faisceau d’arguments cliniques atteste du rôle du système immunitaire dans le contrôle du processus tumoral. Ainsi, l’incidence des cancers augmente chez des patients transplantés sous immunosuppresseurs (3). Chez les sujets non immunodéprimés présentant un cancer, la réponse immunitaire naturelle antitumorale est attestée par la présence d’anticorps dirigés contre des protéines tumorales et de lymphocytes T antitumoraux dans le sang périphérique et la tumeur (4). Enfin, une association significative entre une forte infiltration lymphocytaire au site tumoral et un bon pronostic a été retrouvée dans de nombreux cancers (5).
Le potentiel de la composante immunitaire, à contrôler l’évolution tumorale, a été récemment illustrée par les succès d’immunothérapies bloquant des molécules inhibitrices de la réponse lymphocytaire T, telles que les anti-CTLA-4, ou les anti-PD1/PDL1 (6-9, lire aussi ci-contre). Les données de l’ASCO confirment ces résultats. Les anti-PD1/PDL1, qui avaient montré une efficacité importante dans les mélanomes (10) et les cancers du poumon, s’avèrent également efficaces dans les cancers ORL, du rein, de la vessie et de l’ovaire. Jusqu’à 40 % des patients ont vu leur tumeur significativement diminuer et ces réponses cliniques semblent être prolongées (11-13).
Valeur pronostique de l’infiltrat immunitaire intratumoral
Le micro-environnement des tumeurs colorectales est complexe, et riche en cellules de l’immunité innée et adaptative. Cette composante immunitaire est extrêmement variable d’une tumeur à l’autre et elle évolue au cours du temps (14). L’infiltrat intratumoral, mais aussi le statut immunitaire des ganglions lymphatiques drainant la tumeur et les cellules immunitaires circulantes, pourrait influencer le devenir clinique des patients (15,16).
Nous avons montré qu’une forte densité de lymphocytes T totaux (CD3 +), mémoires (CD45RO +) et cytotoxiques (CD8 +), dans la tumeur et son front d’invasion, était fortement associée à un bon pronostic chez des patients atteints de cancers colorectaux (17). Cette information immunitaire pourrait même présenter une plus forte valeur pronostique que la classification TNM (18).
Pour faciliter le transfert de l’étude de l’infiltrat immunitaire vers la pratique clinique, nous avons mis au point un test simple : l’immunoscore. À partir d’une coupe tissulaire tumorale immunomarquée (technique d’immunohistochimie), les cellules CD3 + et CD8 + de la tumeur et de son front d’invasion sont quantifiées par un programme d’analyse d’image. Une étude internationale rétrospective et une étude nationale prospective multicentrique sont actuellement en cours pour valider la performance pronostique et la faisabilité en pratique clinique de l’immunoscore. À long terme, il s’agirait d’intégrer ce nouveau paramètre pronostique aux stades TNM, pour aboutir à une classification de type TNM-I (TNM-Immune).
Valeur théranostique du profil d’immunoréactivité tumoral
Afin d’administrer un traitement adapté à chaque patient, il est indispensable de trouver des marqueurs permettant d’anticiper la qualité de réponse aux thérapies. L’immunoscore pourrait avoir une valeur théranostique. En effet, il a été montré que certaines molécules de chimiothérapie, ainsi que la radiothérapie, sont immunostimulatrices, en induisant une mort cellulaire « immunogéne » (19). L’efficacité de ces traitements, comme nous l’avons observé dans les cancers du rectum traités par radiochimiothérapie néo-adjuvante (20), dépendrait alors en partie des défenses immunitaires naturelles des patients.
De plus, il est essentiel d’accompagner les nouvelles immunothérapies (e.g. anti-CTLA-4 ou anti-PD1/PDL1) de marqueurs permettant de mieux cerner les 30 à 40 % de patients répondeurs, car ces traitements, dont le coût financier est très élevé, engendrent des effets secondaires qui peuvent être sévères. À titre d’exemple, l’expression de PDL1 par les cellules tumorales ou de PD1 par les lymphocytes T infiltrant pourrait constituer un marqueur prédictif pour les thérapies anti-PD1 (9,21). Des méthodes d’évaluation du statut immunitaire au site tumoral tels que l’immunoscore pourraient également s’avérer être très pertinentes pour la prédiction de la réponse à ces thérapies.
** Laboratoire d’immunologie, hôpital européen Georges-Pompidou, AP-HP, Paris.
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(11) Seiwert TY et al. ASCO Meet Abstr. 2014;32(15_suppl):6011
(12) Motzer RJ et al. ASCO Meet Abstr. 2014;32(15_suppl):5009
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