IL A FALLU 90 ANS aux pouvoirs publics pour reconnaître la dimension sociale du cancer, regrette la toute nouvelle présidente* de la Ligue contre le cancer, Jacqueline Godet. Aujourd’hui encore, les médecins tendent à se focaliser exclusivement sur l’aspect médical. Mais ce premier rapport de l’Observatoire sociétal des cancers, créé par la Ligue en application du plan cancer 2009-2013**, devrait corriger ce biais. Les témoignages recueillis par les 103 comités départementaux de la Ligue évoquent les luttes administratives, juridiques et économiques parallèles au combat pour la vie. Ils clament tous une même réalité : l’effet paupérisant du cancer, qui précipite les malades dans la misère.
Malgré l’inscription des cancers en affection longue durée (ALD) - ce qui induit une prise en charge des soins à 100 % - beaucoup de dépenses supplémentaires sont incompressibles. Le classement en ALD ne fonctionne pas avec les dépassements d’honoraires, pourtant courants, et n’assure pas le remboursement intégral de certains dispositifs (prothèse capillaire, lingerie...) ni des forfaits et franchises médicales. « Je ne comprends pas pourquoi je dois payer 18 euros par jour à l’hôpital, alors que je suis pris en charge à 100 % », s’étonne un patient sous couvert d’anonymat. Les dépenses peuvent être considérables pour ceux qui doivent parcourir des kilomètres pour se soigner. La Ligue contre le cancer évaluait à 817 euros les frais non remboursés pour chaque patient en 2007.
La maladie engendre aussi de nouveaux besoins peu pris en charge, comme des consultations de psychothérapeute ou la présence d’une aide à domicile. Les classes moyennes, pas assez fortunées pour financer ces appuis, mais trop pour avoir recours aux dispositifs de solidarité, qu’ils connaissent mal, se retrouvent en difficulté. « On est seul face à la maladie en étant célibataire et en n’ayant pas droit à une aide ménagère, alors que la chimio vous rend malade et vous visse au lit par les nausées et la fatigue. La mutuelle ne m’attribue rien, car je n’ai pas 65 ans » se désespère un malade.
Changement de mode de vie.
Confronté à une baisse des revenus, un malade sur deux doit restreindre ses dépenses quotidiennes et renoncer aux loisirs et aux vacances. Les personnes en activité au moment du diagnostic ou en reconversion sont touchées de plein fouet. « Depuis la maladie, j’ai de grosses difficultés financières. J’ai perdu mon emploi, et n’ai pas d’aide » témoigne une personne qui vit avec 500 euros par mois.
Les difficultés sont également considérables pour ceux qui touchaient un faible salaire, complété par des heures supplémentaires, ou pour les indépendants. Ces baisses de revenu, souvent suivies de dépression, se transforment en lourds handicaps dans le combat à mener contre la maladie. « Je réduis beaucoup l’alimentation (pas de viande, peu de légumes) alors que je devrais manger correctement. Actuellement, j’ai des carences », reconnaît un malade.
Des dispositifs de solidarité existent pourtant : arrêts de travail, prise en charge par la prévoyance ou les complémentaires santé, aide financière du service social ou reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé... Mais leur complexité les rend peu pertinents et devient source d’angoisse. « On est complètement démuni vis-à-vis de toutes les démarches sociales. Il y a beaucoup de refus et beaucoup trop de paperasserie », tranche un anonyme. Une personne sur trois sondée par l’observatoire a rencontré des difficultés liées aux versements des droits sociaux, principalement des délais de remboursement trop longs, lorsque les dossiers ne sont pas perdus.
Discrimination.
Alors que l’endettement guète, l’accès aux prêts ou aux assurances demeure un obstacle. Depuis 3 ans, 15 % des malades ont déjà affronté un refus d’accès à l’emprunt, malgré la convention AERAS (s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé). Mais c’est dans le monde du travail que les discriminations restent les plus fortes. Seule une minorité parvient à garder son activité professionnelle. Pour les autres, « les arrêts se succèdent et la reprise du travail n’est pas simple à envisager », souligne le rapport. Les souffrances physiques et morales expliquent en partie cette appréhension. Mais les discriminations, qui se matérialisent par des refus d’augmentation ou de promotion, des pertes de responsabilité ou des écarts de rémunération, sont un frein très puissant. « J’ai repris en mi-temps thérapeutique qui a été mal perçu et accepté par mon employeur et mes collègues » relate un malade. « Dès ma reprise de travail, mon employeur m’a passé d’employée familiale à femme de ménage » poursuit une autre. Selon l’étude « La vie deux ans après le diagnostic de cancer » conduite en 2005 sous l’égide du ministère de la santé, 63,4 % des femmes se déclarent victimes de discriminations dans leur vie professionnelle à cause de la maladie contre 36,6 % pour les hommes.
Ce tableau noir de l’observatoire sociétal des cancers est un signal d’alerte sur le sort que la société réserve aux malades. Pessimisme absolu ? « Les témoignages sur la vie sociale et familiale relèvent majoritairement d’un regard positif, notamment en insistant sur l’importance et la réalité du soutien des proches » apprend-on au détour d’un paragraphe.
*Jacqueline Godet a été élue présidente par intérim de la ligue après la démission de Gilbert Lenoir le 20 mars.
**Mesure 30 du Plan Cancer 2009-2013 : « fournir toutes les observations nécessaires concernant les aspects sociaux et sociétaux de la maladie cancéreuse
»
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