Intelligence artificielle et dépistage du mélanome : où en est-on ?

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Publié le 19/12/2019
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Si l’intelligence artificielle a probablement un bel avenir devant elle, des progrès restent à faire pour l’aide au diagnostic en dermatologie.
En situation clinique une confirmation anatomopathologique reste nécessaire

En situation clinique une confirmation anatomopathologique reste nécessaire
Crédit photo : Phanie

Au milieu de l’année 2018 (1), une publication parue dans « Annals of oncology » révélait qu’un ordinateur avait des performances supérieures à l’humain lorsqu’il s’agissait de faire la distinction entre des lésions pigmentées mélanocytaires et des lésions pigmentées bénignes. Un réseau neuronal convolutif, nom savant donné à ce système d’Intelligence artificielle, était en effet parvenu à identifier de façon correcte 95 % des mélanomes contenus dans la centaine d’images de lésions compliquées qui lui avaient été soumises pour analyse, là où 58 dermatologues, venus de 17 pays différents, n’avaient réussi à identifier de façon correcte « que » 87 % en moyenne des mélanomes (89 % avec des renseignements plus détaillés). L’ordinateur avait été préalablement entraîné à distinguer des lésions de la peau et des grains de beauté selon qu’ils étaient bénins ou alarmants, à partir de plus de 100 000 images.

Pour l’équipe germano-franco-américaine qui avait mené l’étude, celle-ci n’avait cependant pas pour objectif d’expliquer qu’il était possible de se passer des médecins au profit de l'intelligence artificielle mais simplement de faire de celle-ci « un outil supplémentaire »

Lésions non pigmentées : une aide encore limitée

Début 2019, une autre étude (2) publiée dans « Jama Dermatology » s’est intéressée, elle, au diagnostic des lésions dermatologiques non pigmentées.

Cette fois-ci, deux réseaux neuronaux convolutifs ont été utilisés : l’un entraîné à partir de 5 829 images cliniques de lésions, l’autre à partir de 7 895 images dermatoscopiques de lésions. Ces deux réseaux ont ensuite dû analyser 2 072 lésions non pigmentées à partir d’images cliniques et dermatoscopiques provenant de cohortes indépendantes, avec une conclusion combinant les deux analyses. En parallèle, 95 évaluateurs professionnels de santé, dont 62 dermatologues, ont dû analyser 50 lésions (images cliniques et dermoscopiques) issues du groupe test de 2 072 lésions non pigmentées. Les évaluateurs avaient été répartis en trois groupes selon leur niveau d’expérience en dermoscopie : débutants : < 3 ans ; intermédiaires : de 3 à 10 ans ; experts : > 10 ans. L’image clinique était toujours montrée avant l’image dermoscopique et l’évaluation finale se faisait sur la combinaison des deux images.

Au final, les réseaux de neurones convolutifs se sont montrés capables de classer les lésions non pigmentées avec autant de précision que les évaluateurs experts et avec une meilleure précision que les évaluateurs les moins expérimentés. Les performances de la machine n’étaient, en revanche, pas uniforme selon les différentes catégories de lésions, notamment les plus rares, du fait de la faible représentation de certaines de ces catégories dans l’échantillon d’entraînement et d’un nombre de pièces à diagnostiquer in fine faible par rapport à ce qu’un évaluateur humain verra tout au long de sa pratique professionnelle.

Selon les auteurs, ces résultats, bien qu’intéressants, ne peuvent, en l’état, remplacer la pratique clinique. D’une part parce que l’ordinateur prend uniquement en compte les caractéristiques morphologiques des lésions, et non des critères importants comme l’âge, la localisation anatomique de la lésion et son historique. Et d’autre part parce que seuls des cas pathologiques confirmés ont été utilisés dans l’échantillon test, induisant une sur-représentation des cas malins. Or, en situation clinique, un diagnostic effectué uniquement sur des images cliniques et dermoscopiques est source d’erreur ; une confirmation anatomopathologique reste nécessaire.

L’ordinateur mérite donc encore de l’entraînement avant d’espérer un jour, si ce n’est remplacer, au moins suppléer l’être humain.

(1) HA Haenssle et al., Annals of Oncology, doi:10.1093/annonc/mdy166
(2) P. Tschandl et al., JAMA Dermatol., doi:10.1001/jamadermatol.2018.4378, 2018

Stéphany Mocquery

Source : Le Quotidien du médecin