Quelles sont les conséquences de l’épidémie de Covid-19 sur le dépistage ?
Pr THIERRY PONCHON : Le dépistage organisé (DO) a été considérablement freiné par la pandémie, les confinements successifs et leurs multiples conséquences sur le système de santé. Cette situation a retenti sur la sévérité du cancer colorectal (CCR) métastatique. Selon une étude française (1), une première consultation tardive chez l’oncologue et la diminution du dépistage expliquent la différence de charge tumorale observée.
Néanmoins, les invitations et la réalisation des tests immunologiques ont repris aussitôt, à l’origine d’un effet rebond qui a permis de rattraper le retard de participation, facilité par l’organisation bisannuelle du DO. En 2021, le taux de participation était ainsi similaire, voire légèrement supérieur à celui d’avant la pandémie. En revanche, les délais de réalisation des coloscopies n’ont pu être rattrapés, engendrant des retards au diagnostic et une augmentation globale de la charge tumorale. Si l’on peut espérer un retour à la normale, je m’interroge sur les effets tardifs du Covid-19, ainsi que sur la disponibilité du personnel médical et paramédical (infirmiers et anesthésistes, en particulier). Par exemple, à l’hôpital Édouard Herriot (Lyon), le délai entre la prescription d’une coloscopie suite à un test positif et sa réalisation s’est dramatiquement allongé, de l’ordre de cinq mois en moyenne. Cette attente est bien supérieure à ce qu’elle était avant la pandémie. Ce sujet, passé sous silence, relève de la même problématique que celle des urgences.
Quelles leçons retenir pour mieux aborder les futurs épisodes pandémiques ?
Des réflexions ont été menées sur l’utilisation des consommables réutilisables (plutôt qu’à usage unique) afin de limiter les ruptures de production et de stock, l’origine du matériel et l’optimisation des plages d’endoscopie, le choix des outils de protection (masque versus écran protecteur), l’éventuel recours aux vidéocapsules, la qualité des examens pour éviter de les multiplier, la priorisation des coloscopies, les procédures de déprogrammation et reprogrammation…
Avec près de 35 % de la population cible dépistée en 2020-2021, la France stagne toujours en deçà du standard européen de 45 %. Comment l’expliquer ?
En effet, le taux de 45 % n’est que le seuil minimal acceptable ! Ma crainte est que le départ raté du DO ne permette pas de rattraper notre retard. Ce dernier peut s’expliquer par une accoutumance de la population à un DO dysfonctionnel, dont l’enjeu est peu mis en avant par nos instances, et la défiance du public envers nos institutions. L’absence de pilotage institutionnel peut aussi être en cause, due à la multiplicité des instances impliquées (direction générale de la santé, institut national du cancer [INCa], caisse nationale d’Assurance-maladie |CNAM], CRCDC) au sein d’une organisation si complexe qu’elle en est paralysante. De plus, pendant trop longtemps, le rôle central dans ce DO a été attribué au médecin généraliste, en dépit d’une surcharge de travail, d’une rémunération peu gratifiante, voire d’un manque d’intérêt pour certains. L’ouverture aux autres spécialistes et aux pharmaciens a été tardive, tout comme la possibilité de commander le test en ligne début 2022, et insuffisamment organisée pour porter ses fruits. Par exemple, la remise du test par les pharmaciens a été lancée, sans que les CRCDC puissent s’organiser pour harmoniser automatiquement les fichiers patients et les informations recueillies en officine. Le problème est identique avec les questionnaires remplis en ligne, pour commander les tests. Aucune organisation réfléchie ne permet de diriger correctement les individus vers les tests ou les examens correspondant à leur risque personnel, ni d’assurer le suivi.
Comment redresser la barre ?
Le DO est un investissement à mettre en parallèle avec la souffrance, les décès, mais aussi le coût considérable engendré par une année de vie sauvée. Le calcul annuel de ce montant par la CNAM permettrait d’en attribuer un certain pourcentage au dépistage. Par ailleurs, l’INCa devrait travailler de concert avec les CRCDC sur les évolutions nécessaires du dépistage organisé. En effet, celui-ci ne concerne que les personnes à risque moyen, alors que celles avec un risque élevé (20 % de la population) ne bénéficient paradoxalement pas d’un suivi organisé. Les CRCDC devraient être en charge de suivre ces personnes. De plus, les nouvelles recommandations de la Société française d’endoscopie digestive ne peuvent pas être appliquées dans les CRCDC, les plaçant ainsi en difficulté par rapport aux préconisations des hépatogastroentérologues.
(1) Thierry AR et al. Association of COVID-19 Lockdown With the Tumor Burden in Patients With Newly Diagnosed Metastatic Colorectal Cancer. JAMA Netw Open. 2021;4(9):e2124483
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