› La santé en librairie
DE NOMBREUX patients douloureux échappent aux cadres traditionnels de l’analyse sémiologique. Comprendre ce symptôme commun à tant de maladies, mais chaque fois vécu de façon unique, est peut-être ce qui a motivé la carrière de Nicolas Danziger. Son récit commence néanmoins par le portrait d’un patient incapable de souffrir à la suite d’un traumatisme crânien. Cet homme, victime d’asymbolie à la douleur, chez qui existait une abolition totale du caractère aversif de la douleur, a permis à Nicolas Danziger de découvrir des territoires de la douleur humaine qu’il n’avait encore jamais visités, d’entrevoir et de se représenter cet « effacement complet de l’axe plaisir-déplaisir du vécu corporel sur lequel se fonde notre sentiment d’identité, notre rapport au monde, l’intime conviction que nous avons d’être vivants ».
Pour habiter notre corps, nous avons besoin de disposer de notre capacité d’avoir mal, nous explique-t-il en détails. En effet, dit-il, l’asymbolie à la douleur survenant après une lésion cérébrale ou encore le syndrome génétique d’indifférence à la douleur rendent les sujets qui en sont victimes particulièrement vulnérables physiquement à tout ce qui peut les blesser mais aussi comme étrangers, « coupés » de leur propre corps. Explorant les multiples facettes et expressions de la douleur, de son expression et de ses variations, l’auteur analyse les avancées fantastiques concernant la connaissance des systèmes et boucles de modulation de la douleur, en les illustrant par de multiples histoires cliniques, douleurs neuropathiques du membre fantôme, algodystrophie ou autres douleurs chroniques, pour expliquer avec talent comment et en quoi la douleur est une construction cérébrale particulièrement élaborée. Comment cette construction peut être durablement perturbée ou inadaptée, s’exprimer alors que la cause périphérique a disparu, la douleur signal devenant alors douleur maladie ; comment la souffrance psychique, le deuil, la séparation peuvent influencer et modifier l’intégration cérébrale de la perception douloureuse.
Le cerveau, homme-orchestre.
L’apparente stabilité de notre image corporelle n’est qu’un leurre, explique le neurologue : l’illusion de gonflement ressentie avec une anesthésie locale, expérience vécue par tout un chacun, l’exclusion du membre malade de son schéma corporel par le patient souffrant d’algodystrophie, les modifications des douleurs selon les expériences sensorielles et affectives en sont autant d’exemples. Globalement, « la douleur n’est pas la traduction directe de l’état du corps mais représente plutôt l’idée que le cerveau se fait d’une éventuelle atteinte de l’intégrité corporelle, une interprétation de la réalité à un instant donné ». Rappelant les géniales intuitions du phénoménologiste Wittgenstein, les expériences ingénieuses de réafférentation virtuelle avec la boîte miroir imaginées par V. Ramachandran, l’effet neuromodulateur des placebos, démontré par les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle, et bien d’autres données issues des neurosciences, Nicolas Danzinger explore des territoires passionnants et non encore totalement explorés.
Le cerveau a -t-il une âme empathique ?
Comment se représenter concrètement l’expérience de la douleur physique d’autrui ? Comment être sensible à la détresse qu’elle engendre et empathique face à un symptôme aussi subjectif ? Que se passe t-il chez celui qui voit l’autre souffrir ? Les disparités dans l’appréciation de la douleur d’autrui chez les soignants ne sont pas seulement affaire d’expérience ni d’intensité, comme en témoignent les études européennes et nord-américaines citées par l’auteur. Dans certaines enquêtes, plus le niveau douloureux des patients était élevé, plus il était sous-estimé par les médecins. Les processus dits « d’inférence émotionnelle » liés à la capacité d’empathie, la modulation des phénomènes de résonance affective qui participent à la compassion sont aujourd’hui mieux étudiés, ce qui devrait nous permettre de « donner forme à un éprouvé de la douleur qui, en tant que tel, nous demeure inconnaissable ».
Il n’empêche, de nombreuses douleurs restent incurables, rappelle le neurologue, comme celle de l’un de ses patients et écrivain, Josip Rainer, dont la douleur neuropathique a envahi la vie et est au centre de ses poèmes. Nous lui laissons le dernier mot, particulièrement explicite : « Je suis au centre d’une atrocité de corps, dirai-je./ Et comme complément de vérité,/ J’ajoute à voix basse : le mien./ Je veux dire : le nôtre. »
Nicolas Danziger, « Vivre sans la douleur ? », Odile Jacob, 244 pages, 25 euros.
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