LE QUOTIDIEN : En 2020, 134 signalements (accidents ou intoxications) en lien avec le protoxyde d'azote ont été rapportés aux centres antipoison et 254 auprès des centres d’addictovigilance, soit cinq fois plus qu'en 2019. Que nous disent les chiffres de 2021 ?
Pr CAROLINE VICTORRI-VIGNEAU : La tendance à la hausse se poursuit. Les centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A) ont reçu l'année dernière près de 500 signalements, soit près du double de l'année précédente. La France se situe sur cette trajectoire depuis 1998, l'année qui a vu apparaître le phénomène.
Il est important de préciser que ces chiffres correspondent aux signalements d'addictovigilance, que nous envoient les professionnels de santé. Ces derniers ont l'obligation de déclarer les cas d'addictovigilance. Ce ne sont pas les chiffres de la consommation, dont l'estimation est du ressort de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (cf. encadré). Néanmoins, on sait qu'il existe une certaine proportionnalité entre les signalements d'addictovigilance et les chiffres de la consommation. Il est donc vraisemblable que ces derniers aient beaucoup augmenté.
Paradoxalement, quand les conséquences d'une consommation sont peu sévères et commencent à être vraiment bien connues des professionnels de santé, elles sont de moins en moins signalées. C'est une notion à garder en tête au moment d'interpréter nos résultats.
Quelles sont les situations cliniques qui se cachent derrière ces chiffres ?
Il y a une grande variété de sources et de types de signalements. Si c'est un médecin qui nous contacte, il peut rapporter une notification clinique, par exemple des conséquences neurologiques. Dans ce cas, nous allons avoir des informations cliniques précises. D'autres signalements ne sont pas des cas cliniques et concernent les conséquences de la consommation de protoxyde, comme les accidents de la route.
Cela étant dit, quels sont les effets immédiats ? Le premier risque est l'asphyxie. Le protoxyde consommé par les jeunes provient de bonbonnes destinées à la fabrication de la crème chantilly. Le protoxyde d'azote (N2O) y est donc pur, contrairement à celui utilisé dans le domaine médical qui est mélangé à de l'oxygène.
Ensuite, il y a de nombreux signalements de brûlures par le froid de la peau en contact avec la bombonne, ainsi que des pertes de connaissance, des vertiges et une désorientation.
Et quelles sont les conséquences à plus long terme ?
Nous avons assisté à un important changement qualitatif, avec l'émergence de signalements qui relèvent du champ de l'addiction et du trouble de l'usage. Cela correspond à une transformation des pratiques. En 2021, dans 9 signalements sur 10, le patient présente une dépendance, un abus ou un usage quotidien qui peut aller jusqu'à 20 cartouches ou plus par jour ou par occasion. Les usagers emploient de plus en plus des bombonnes qui peuvent contenir l'équivalent de dizaines de cartouches, voire des centaines. Ils sont alimentés par des réseaux de livraison mis en place notamment lors des confinements.
Entendons-nous bien : cela ne signifie pas que 9 consommateurs sur 10 en France développent une addiction au protoxyde d'azote. On peut en revanche affirmer que, dans nos signalements d'addictovigilance, un nombre croissant de jeunes rassemblent les caractéristiques de l'addiction alors que ce n'était pas le cas il y a 5 ans.
Cette consommation régulière s'accompagne de troubles neurologiques avec potentiellement des atteintes centrales et périphériques, parfois des paresthésies et des troubles de la marche. Ces atteintes, présentes dans près de 80 % de nos signalements, sont parfois très graves : sclérose combinée de la moelle, myélopathie, neuropathies… Des symptômes thymiques, attaques de panique, délires, confusions, amnésies, irritabilité ou insomnies sont aussi rapportés.
Plus rarement, on observe des conséquences cardiovasculaires, et notamment des thromboses, des embolies pulmonaires et les syndromes coronaires aigus.
Votre dernier rapport publié pointe du doigt le fait qu'il s'agit rarement de polyconsommateurs. Le public concerné se distingue-t-il de celui observé pour d'autres stupéfiants ?
Oui, il s'agit de patients jeunes, âgés en moyenne de 22 ans, qui recherchent presque exclusivement du protoxyde : on a rarement des mélanges avec de la cocaïne par exemple. Cet engouement est dû au fait que le gaz n'est pas perçu comme un produit dangereux. En tant qu'additif alimentaire, le protoxyde d'azote, non destiné à être consommé, n'est pas soumis à une réglementation très stricte, alors que le mélange médical 50/50 est très réglementé et figure sur la liste 1 des substances vénéneuses. Le N2O suit une partie de la réglementation des stupéfiants.
Qu'est-ce qui pourrait être tenté pour enrayer le phénomène ?
Les pouvoirs publics ont déjà pris des mesures. Il y a eu la loi votée en 2021 qui punit la vente aux mineurs et l'interdit dans les débits de boissons et de tabac. Elle prévoit aussi l'obligation d'un label indiquant la dangerosité de l'usage détourné du protoxyde d'azote. Nous sommes en attente d'un arrêté complémentaire pour fixer une limite maximale de vente aux particuliers.
Il y a aussi des efforts à faire en matière d'information : il est important que les médecins généralistes sachent que, dès qu'il y a un trouble neurologique, comme une paresthésie ou un trouble de la marche chez un jeune, il faut investiguer la question du protoxyde d'azote car sa consommation est très répandue.
Quelle est alors la marche à suivre ?
Le plus urgent est d'orienter le patient vers un neurologue car les séquelles neurologiques peuvent être limitées par une prise en charge précoce et adaptée incluant une administration de vitamine B12. Dans de nombreux cas, il y a une association de troubles neurologiques centraux et périphériques dont le pronostic peut être plus péjoratif.
La prise en charge d'un potentiel trouble de l'usage doit aussi être envisagée. Il ne faut pas oublier que les jeunes ne perçoivent pas toujours l'importance des effets et se montrent peu observants.
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