PAR LE Pr THIERRY URBAN*
LES NOMBREUX carcinogènes et irritants de la fumée de tabac altèrent progressivement, de manière réversible puis irréversible, la muqueuse respiratoire et l’ADN cellulaire, induisant l’apparition, chez un grand nombre de fumeurs, des cancers bronchiques et/ou des BPCO. La fumée de tabac inhalée est le seul facteur déterminant retrouvé chez la plupart de ces patients, en dehors de l’amiante pour le cancer bronchique.
La prévalence de la BPCO varie selon les pays de 3 à 8 % de la population et augmente avec le tabagisme, pour atteindre jusque 24 % des hommes fumeurs dans certaines études. En 2020, la BPCO pourrait être la troisième cause de mortalité dans le monde. L’action délétère de la fumée de tabac est proportionnelle à l’importance du tabagisme, avec un déclin accéléré du volume expiratoire maximal par seconde (VEMS), passant de 8-20 ml/an chez le sujet non fumeur à environ 45-60 ml/an chez le fumeur, voire plus dans la BPCO avérée.
Le meilleur traitement de la BPCO.
Les sociétés savantes recommandent le sevrage tabagique comme élément essentiel de la prise en charge de la BPCO. Plusieurs études ont montré que c’est la seule mesure susceptible d’interrompre la progression de l’obstruction bronchique et de retarder l’apparition de l’insuffisance respiratoire, quel que soit le stade de la maladie, en ralentissant le déclin annuel du VEMS, comme l’avait montré Fletcher dès 1977. Il permet aussi de réduire les symptômes comme la toux, l’expectoration et la dyspnée. C’est la méthode de réduction du risque de survenue d’une BPCO la plus efficace et la moins coûteuse. L’intervention doit être la plus précoce possible, d’où l’importance de la détecter précocement.
Le sevrage tabagique est particulièrement complexe chez les fumeurs déjà atteints de BPCO du fait d’un niveau de dépendance élevé, d’une plus forte consommation tabagique, d’une plus forte concentration de CO dans l’air exhalé, d’une motivation insuffisante après des tentatives de sevrage sans succès et de facteurs anxiodépressifs plus fréquents. Une analyse de Van der Meer et al. (Cochrane Library, 2004) conclut que, chez le patient fumeur porteur d’une BPCO, une prise en charge psychosociale et pharmacologique est bénéfique et supérieure à une simple prise en charge psychosociale ou à l’absence d’action. Une prise en charge plus globale, dans le cadre d’une réhabilitation respiratoire associant des entretiens éducatifs, un réentrainement à l’effort, un soutien psychologique et diététique, et un suivi tabacologique prolongé permet d’observer de meilleurs résultats du sevrage tabagique chez ces patients. Des doses et des durées de traitement par substituts nicotiniques, voire des associations peuvent être utiles chez ces patients. De même, récemment la varénicline a montré une efficacité plus importante par rapport au placebo chez les patients BPCO, que chez les fumeurs sans comorbidités. Enfin, la réduction du tabagisme accompagnée de substituts nicotiniques peut être un moyen de seconde intention de limiter le risque, mais surtout de renforcer la motivation et d’aboutir à un sevrage tabagique.
Toujours bénéfique dans le cancer bronchique.
Environ 30 000 nouveaux cas de cancers bronchiques sont diagnostiqués en France, avec un taux de survie globale à 5 ans à peine supérieur à 15 %. Plus de 85 % des cancers bronchiques sont directement liés à l’inhalation de fumée de tabac. C’est aussi un facteur de carcinogenèse pour de nombreux autres organes comme la vessie et la sphère ORL. Le sevrage tabagique réduit très significativement le risque de survenue de ces cancers, d’autant plus rapidement et fortement que l’arrêt est précoce.
La découverte d’un cancer bronchique, voire l’exploration pour suspicion non confirmée de cancer est un moment propice d’intervention tabacologique auprès du patient et de ses proches, souvent sous-utilisé, l’ensemble des préoccupations allant vers les explorations diagnostiques puis les traitements spécifiques.
Bien qu’une majorité de patients fumeurs arrêtent seuls, voire sont déjà des ex-fumeurs lors de la découverte du cancer, d’autres poursuivent leur tabagisme ou le reprennent à distance d’une cure chirurgicale. Dans les stades plus avancés, nombre de patients, voire de praticiens n’envisagent pas une prise en charge du tabagisme, au vu du contexte néoplasique et de la survie limitée de ces patients. Pour d’autres patients ou leurs familles cependant, l’absence de prise en compte du tabagisme causal de la maladie peut être vécue comme un facteur péjoratif de leur prise en charge.
Une analyse récente de la littérature publiée en 2010 dans le British Medical Journal, vient de conclure que le sevrage tabagique chez un patient atteint de cancer bronchique de stade précoce réduit le taux de récidive de la maladie après exérèse chirurgicale et le taux de second cancer, incitant à prendre en charge ces patients durablement au décours de leur traitement. D’autres études suggèrent que la poursuite du tabagisme limite les bénéfices des autres thérapeutiques. Le tabagisme majore les morbidités périopératoire et de la chimiothérapie. Pour les stades plus avancés du cancer, il pourrait influencer l’efficacité de la radiothérapie et de la chimiothérapie, et aggraver les comorbidités cardiovasculaires et respiratoires. Ainsi, il a été montré que la poursuite du tabagisme influence significativement le métabolisme de l’erlotinib, nouveau traitement du cancer bronchique dont la cible est le récepteur de l’EGF. Donc, l’arrêt du tabac est un des traitements à mettre en œuvre en cas de cancer bronchique chez un fumeur.
* Pneumologue, Pôle Thorax-Vaisseaux, CHU Angers.
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