Accusé de traîner les pieds sur le dossier des haltes soins addictions (HSA), anciennement appelées salles de consommation à moindre risque (SCMR), l'État est attaqué dans deux recours par Médecins du monde et la Fédération Addiction pour inaction, voire obstruction active à la création de ces dispositifs, en particulier à Marseille. Ces contentieux, inédits en Europe, visent à « obliger l’État à justifier son inaction et à prendre des mesures pour installer une véritable politique de réduction des risques », résume Vincent Brengarth, avocat du cabinet Bourdon et associés qui a rédigé les deux recours.
Dans le premier recours, l’État est accusé de ne pas avoir rempli ses missions inscrites dans l'article 3411-7 du code de la santé publique, introduit par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Ce texte stipule qu’il appartient à l'État de mettre en place une politique de réduction des risques et dommages liés à la consommation de drogue en France. « Les différentes évaluations ont démontré que les HSA sont un dispositif efficace, et même irremplaçable pour les populations le plus précaires », ajoute Vincent Brengarth. Or deux HSA seulement ont été ouvertes sur le territoire français contre 24 en Allemagne. Dans le texte remis ce 14 avril au tribunal, les plaignants reprochent à l’État une « obstruction purement politique », alors que des situations territoriales « auraient dû conduire à la création de HSA ». Cette obstruction serait, selon le texte, en contradiction avec l'esprit de la loi.
À Marseille, un rôle actif de l’État pour bloquer le projet de HSA
Le deuxième recours, cosigné par Médecins du monde (MDM) et Aides, a une dimension plus locale, puisqu'il vise à obtenir l'annulation du refus implicite d'ouvrir une HSA à Marseille. Le dossier marseillais est emblématique du manque de soutien des pouvoirs publics. En octobre 2023, un comité de pilotage avait validé le cahier des charges du projet et la HSA devait être installée dans le 5e arrondissement de la cité phocéenne. L'ARS, la préfecture, la mairie centrale et la mairie d’arrondissement étaient alors toutes tombées d'accord, et il ne manquait plus que la signature du ministre de la Santé Aurélien Rousseau qui, hasard malheureux du calendrier, démissionne le mois suivant.
Lors du deuxième comité de pilotage, en janvier 2024, les porteurs du projet découvrent avec stupeur que les services de l’État s’opposent finalement à l'installation boulevard de la Libération. Quelques semaines plus tard, c'est au tour de la secrétaire d'État à la ville, Sabrina Agresti-Roubache, d'afficher son opposition au projet et son soutien à un collectif de riverains manifestant contre l’ouverture au 110 boulevard de la Libération. Le projet est depuis gelé : « tout le monde se tient par la barbichette », ironise lugubrement Guillaume Debrie, coordinateur régional Paca pour Médecins du monde.
12 à 18 mois de procédure pour renouer le dialogue
Ces recours font suite à une demande préalable indemnitaire adressée au ministère de la Santé le 23 décembre 2024, restée sans réponse. S’ils ne sont pas rejetés, il faudra attendre 12 à 18 mois pour obtenir une décision de justice, soit bien après la date de fin de l’expérimentation.
Mais alors quel est l’intérêt ? « D’abord, cela permettra de renouer un dialogue avec les autorités, espère Vincent Brengarth. Le ministère de la Santé va être obligé de se justifier lors de la phase d’instruction devant la justice administrative. » MDM et la Fédération Addiction espèrent par ailleurs que le juge émettra une injonction pour contraindre l’État à prendre des mesures concrètes en faveur de l’installation de nouvelles salles en France, en particulier à Marseille. « Aujourd’hui, les juridictions administratives sont de plus en plus souvent destinataires de recours pour manquement de l’État. Les juges administratifs ont accepté cette responsabilité et l’escortent de mesures tout à fait concrètes », explique Vincent Brengarth.
Quant aux deux seules HSA de France (l'espace Jean-Pierre Lhomme géré par l'association Gaïa à Paris et Argos par l’association Ithaque à Strasbourg), leur existence est menacée. Leur autorisation dans le cadre de l'expérimentation commencée en 2016 prendra fin le 31 décembre prochain, de même que l’immunité pénale dont bénéficient leurs équipes. À ce jour, aucune garantie n'a été donnée quant à leur pérennisation ou à un prolongement de l'expérimentation, en dépit de nombreux travaux d'évaluation positifs. En octobre 2024, un rapport de l'Igas recommandait d’inscrire les HAS dans le droit commun. La Cour des comptes, la défenseure des droits et la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives se sont aussi prononcées en faveur de ces dispositifs.
Une nouvelle évaluation, commandée par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) à destination des parlementaires, est actuellement menée par une équipe de recherche des Hospices civils de Lyon. Leur travail est attendu en mai. « On espère que les parlementaires pourront prendre une décision en juin », commente la Dr Élisabeth Avril qui dirige l’espace Jean-Pierre Lhomme. Toute décision de pérennisation ou de poursuite de l’expérimentation devrait se soumettre à la navette parlementaire.
En neuf ans, plusieurs projets d’HSA ont été montés à Lille, Bordeaux, Lyon et Marseille, mais aucun n'a vu le jour, à la suite de blocages politiques souvent issus des rangs du gouvernement : à Lille, par exemple, le ministre de l'Intérieur de l'époque, Gérald Darmanin, était intervenu en personne pour s’opposer à l'ouverture de la salle prévue le 1er octobre 2021.
Un bilan positif pour les deux espaces déjà en place
En 2023, l'espace Jean-Pierre Lhomme (Paris) a accueilli 781 personnes, pour 70 888 consommations, soit 194 consommations par jour en moyenne. Dans 87 % des cas, il s'agit de polyconsommateurs. L'espace de consommation Argos (Strasbourg) a, lui, accueilli 9 044 sessions de consommation en 2024, pour une file active de 739 personnes. Selon le rapport scientifique publié par l'Inserm en 2021, ces deux HSA permettraient d'éviter, dans leurs bassins de population respectifs, 69 % des overdoses, 71 % des passages aux urgences et 77 % des infections graves (abcès et endocardites).
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