Une alerte du Centre international de recherche sur le cancer

Les opiacés pourraient être carcinogènes

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Publié le 05/05/2020
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La grande cohorte Golestan, suivie en Iran depuis 2004, met en évidence une relation dose-dépendante entre la consommation régulière d'opiacés et le risque de cancer.
En 2017, on estimait à 29,2 millions d'usagers réguliers d'opiacés dans le monde

En 2017, on estimait à 29,2 millions d'usagers réguliers d'opiacés dans le monde
Crédit photo : Phanie

Selon une étude de cohorte publiée dans « The Lancet Global Health », la prise régulière d'opiacés augmenterait significativement le risque de cancer dans plusieurs localisations : poumon, système digestif, voies urinaires, système nerveux central… Ces résultats poussent le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) à réévaluer le caractère carcinogène des opiacés, ce qui devrait être fait dès septembre 2020.

Cette étude a été commencée par les chercheurs de l'Institut des sciences médicales de Téhéran. Ces derniers suivent depuis plus de dix ans la cohorte Golestan, mise en place en 2004 chez plus de 50 000 individus. Cette cohorte est qualifiée par les auteurs de l'étude comme étant « la seule cohorte au monde à comprendre un grand nombre d'usagers réguliers de drogues opiacés ». Elle tire en effet son nom de la province du Golestan, dans le nord-est de l'Iran, une région qui connaît une forte prévalence de la consommation d'opium et de ses dérivées sous différentes formes : opium brut (le teriak), opium raffiné (shireh), scories d'opium (sukhteh), ou héroïne.

Ainsi, sur les 50 034 membres de la cohorte, 8 486 ont consommé à un moment ou un autre des opiacés (près de 90 % étaient des consommateurs actuels). La durée moyenne de consommation était de dix ans.

Plusieurs études listées par les auteurs avaient déjà établi un lien statistique entre consommation de drogue et risque de cancer, mais il s'agissait dans leur majorité d'études cas contrôle, limitées et non dénuées de biais méthodologiques. Ce nouveau travail met pour la première fois en évidence une relation dose-dépendante entre la prise régulière d'opiacés et les risques de cancer gastrique, de l'œsophage, du larynx, du poumon, du pancréas, du foie, de la vessie et risque de tumeur cérébrale.

Au cours du suivi, un cancer a été diagnostiqué chez 1 833 membres de la cohorte. La prise régulière d'opiacés était associée à un surrisque de cancer de 40 %. Le risque de cancer gastro-intestinal était augmenté de 31 %, celui des cancers des voies respiratoires était multiplié par 2,28. Les risques de cancer de l'œsophage, gastrique, du poumon, de la vessie et du larynx étaient respectivement augmentés de 38, 36, 121, 186, et 153 %.

Seules les plus fortes doses d'opiacés étaient associées à un surrisque de cancer du pancréas, et seules les formes ingérées sont associées au risque de tumeur cérébrale ou d'hépatocarcinome.

Une association indépendante de la consommation de tabac

« Dans notre étude, nous avons relevé une association importante entre la consommation régulière d'opium et le risque de cancer chez les hommes qui, par ailleurs, ne consomment pas de tabac », explique le Dr Mahdi Sheikh, chercheur au CIRC et premier auteur de l'étude. « De plus, poursuit-il, cette association se confirme quels que soient le type ou la voie d'administration des opiacés ».

En 2017, on estimait que 29,2 millions de personnes dans le monde étaient des usagers réguliers d'opiacés. Dans leur majorité, il s'agissait d'un usage illégal. « Compte tenu de la forte augmentation du nombre d'usagers au cours des dernières années, des initiatives globales seront nécessaires pour réduire le mésusage des opiacés et mettre en place des stratégies pour réduire les risques et dommages à long terme », affirme le Dr Paul Brennan, qui dirige le département de génétique du CIRC.

M Sheikh et al. Tne Lancet Global Health, doi:https://doi.org/10.1016/S2214-109X(20)30059-0

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin