RAPPELONS qu’à la suite de l’avis défavorable de l’Agence européenne d’évaluation des médicaments (EMEA) au maintien sur le marché de l’association dextropropoxyphène-paracétamol (DP), l’AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) a recommandé aux professionnels de santé de ne plus prescrire cette association à de nouveaux patients, organisant le retrait définitif des spécialités concernées dans un délai de l’ordre d’un an afin de préparer le passage aux alternatives.
Une telle décision a surpris à une forte proportion des généralistes présents, en particulier les plus âgés, qui ont prescrit assez largement l’association DP, sans déceler de problèmes majeurs. « Comment se fait-il que la pharmacovigilance n’ait rien trouvé pendant près de 50 ans », s’étonne l’un d’eux ?
Le Dr Jean-Michel Wattier n’est pas surpris et approuve cette décision, même si les raisons mises en avant (suicides en Suède et au Royaume-Uni) ne lui paraissent pas les meilleures. Il reproche à l’association DP de réunir deux molécules qui ont des demi-vies très différentes, longue pour le dextropropoxyphène (22 heures environ) et courte pour le paracétamol (4-5 heures), ce qui expose à des risques d’accumulation pour le premier, notamment chez le sujet âgé. « D’ailleurs, on retrouve les conséquences cliniques de ce phénomène – effet convulsivant, troubles du rythme… – dans des méta-analyses. Quant à la pharmacovigilance des produits anciens, tout le monde sait qu’elle n’est pas parfaite. »
L’expérience toulousaine.
D’ailleurs, plusieurs pays, la Suède et le Royaume Uni, ont retiré l’association DP de leur marché depuis plusieurs années (2004) et certains hôpitaux aussi. C’est le cas d’un hôpital universitaire toulousain où on a analysé les transferts de prescription après cette discussion. On observe une diminution globale de la prescription d’antalgiques (- 2,8 %). Par ailleurs, il n’y a pas eu d’augmentation de recours aux médicaments du palier III (avec même une légère diminution de 8 %). Quand il y a transfert, il se fait vers les associations de palier II, principalement vers l’association paracétamol-tramadol (PT). Mais le recours à cette association a moins augmenté qu’on aurait pu le penser, s’il y avait eu simple transfert. Tout se passe comme si le retrait de l’association DP avait généré une remise à plat de la prise en charge de la douleur, avec une forte augmentation de la consommation de paracétamol seul (+28 %), en utilisant plus souvent la dose maximale (4 g).
L’adaptation des généralistes lillois.
Globalement, les généralistes lillois ont adapté leurs pratiques de façon comparable. Cependant, les plus âgés – qui ont utilisé l’association DP depuis des années sans problème – disent ne pas bien comprendre cette mesure et poursuivent leurs prescriptions chez des patients qui sont eux aussi attachés à cette association (certains constitueraient des stocks en raison de l’interdiction prochaine…). D’autres, plus jeunes, déclarent qu’ils n’étaient déjà plus de gros prescripteurs de l’association DP mais chez les patients prenant déjà le médicament, ils ne modifient pas systématiquement la prescription (ce que ne demande d’ailleurs pas l’AFSSAPS).
Tous soulignent que cette décision les a conduits à repenser leurs prescriptions d’antalgiques et la prise en charge de la douleur en général : évaluation initiale plus poussée, recherche plus systématique des composantes neuropathiques, intérêt accru pour les alternatives aux antalgiques (de la mésothérapie au TENS…), recours beaucoup plus fréquent à la dose maximale de paracétamol (4 g/j).
Il n’y a pas d’utilisation plus fréquente des morphiniques et quand il y a transfert, ils se font vers les autres phases II, association paracétamol-codéine (le Dr Wattier soulignant qu’il y a environ 8 % de patients métabolisant lentement la codéine d’où une activité réduite ; à l’inverse il y a quelques métaboliseurs rapides chez lesquels il peut exister un risque toxique) et, beaucoup plus souvent, association paracétamol-tramadol.
Le Dr Wattier souligne la cohérence pharmacologique de cette association (demi-vies comparables des deux molécules, de l’ordre de 4-5 heures) et la double action de tramadol sur la sensibilité et la nociception. Certains généralistes se disent cependant confrontés aux effets indésirables, mineurs mais gênants de cette association, notamment au plan digestif. D’autres rapportent une meilleure tolérance avec les formes effervescentes ou à libération prolongée.
Mais, en attendant les conclusions des experts de l’AFSSAPS, tous partagent les conclusions du Dr Wattier : « Cet incident de parcours doit nous conduire à évaluer et à réévaluer la prise en charge de la douleur, en combattant l’automatisme de certaines prescriptions ».
(1) Organisé avec le soutien institutionnel des Laboratoires Grünenthal.
(2) Secteur douleur, Pôle anesthésie-réanimation, hôpital Claude-Huriez (Lille).
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