D’abord, du passé Idriss Aberkane veut faire table rase – révolution oblige. « Petit génie » tout juste trentenaire et titulaire de trois doctorats dont un en neurosciences appliquées, ce professeur à Centrale, chercheur à Polytechnique et chercheur affilié à Stanford (États-Unis), casse la baraque de l’enseignement.
« La faculté apprend surtout à se conformer au moule des institutions », accuse-t-il dans son livre-manifeste qui fait la couverture des newsmagazines. « Or, plus vous essayez de rentrer dans le moule, plus vous allez ressembler à une tarte, explique-t-il au « Quotidien ». C’est la même procédure qu’avec le gavage des oies, qui développe le foie gras, une maladie hépatique, l’institution mène droit par le gavage pédagogique au cerveau gras. Lors de la PACES, ce gavage est une souffrance inutile qui ne procure aucune valeur ajoutée, c’est un formatage qui sature et vérole le cerveau des carabins avec des « pourriciels », ces logiciels inutiles qui font ramer nos ordinateurs, et qui laissent des « psychatrices » ineffaçables. Grâce à l’internat, la collégialité et la contextualisation limitent les dégâts de la standardisation. Mais le doctorat reste un bizutage par la grande broyeuse académique qui transforme les futurs médecins en data zombie (zombie à données), contraints de vendre leur cerveau comme on vend ses bras, et parfois de le prostituer. »
« Pour libérer les neurones et déverrouiller le cerveau, heureusement, les serious games ont fait leur apparition il y a une dizaine d’années, se félicite l’anticonformiste et rebelle Aberkane ; avec la neuro-ergonomie, ces outils pédagogiques révolutionnaires sont en train d’investir les UFR de médecine, ils appliquent l’ergonomie cérébrale à la transmission du savoir et du savoir-faire en distribuant autrement, et plus efficacement le poids de la connaissance et de l’expérience dans notre cerveau. »
Un pléonasme, pas un oxymore.
Pour l’esprit bas de plafond, le jeu n’est pas sérieux. L’appellation serious games ressemble même à un oxymore. Mais on découvre depuis quelques années que c’est plutôt un pléonasme. « Jouer est la façon la plus répandue d’apprendre chez les mammifères, rappelle Idriss Aberkane, plus une espèce est intelligente, plus elle est joueuse. Et il y a deux choses qui sont parfaitement neuro-ergonomiques pour le cerveau : la nature, qui évolue et sélectionne par le jeu, et le jeu vidéo, qui captive au maximum le cerveau. Les serious games activent le système dopaminergique, la zone de récompense du cerveau, fournissent la motivation à l’étudiant pour réaliser des actions dans un état de concentration extrême, en mobilisant toutes les zones de la mémoire, épisodique, répétitive et spatiale, tout cela en contexte ludique, c’est-à-dire déstressé. Pour le dire sous forme d’équation, j (k) a At : « la connaissance échangée est proportionnelle à l’attention multipliée par le temps ». Bref, avec les jeux, c’est génial : vous abaissez la barrière d’entrée dans la transmission et vous élevez la barrière de sortie, vous avez une moindre déperdition de carabins en route. »
Une activité émergente.
Toute une économie s’est fondée sur l’apprentissage par le jeu sérieux. Depuis 2008 à Valenciennes avec les e-virtuoses, depuis 2012 à Nice, à la faculté de médecine de Nice-Antipolis, avec les colloques de Segamed, spécialisé dans les serious games et le gaming, sans oublier les congrès d’Interaction Healthcare, les experts en neurosciences et en informatique, les industriels et les responsables d’UFR de médecine se retrouvent pour échanger les dernières avancées du secteur vidéo-ludique. Selon le rapport du Pr Jean-Claude Granry (Haute Autorité de Santé, 2012), le serious game représentait en France « une activité émergente, mais qui intéresse de plus en plus le monde de la santé. » En 2015, son chiffre d’affaires mondial atteignait 10 milliards d’euros et 84 millions d’euros pour la France (estimations IDATE, un think-tank spécialisé dans l’économie numérique).
Dans toutes les UFR, des sites dédiés se mettent peu à peu en place, avec des systèmes vidéo et des locaux annexes pour développer la convivialité et le débriefing. Les formateurs se forment à ces formations nouvelles. En 2013, Paris-Descartes inaugurait la plateforme iLUMENS sur le site Saints-Pères, principalement dévolue aux jeux sérieux. Pas plus tard que ce mois-ci, l’université SP (Sorbonne Paris Cité), qui regroupe les UFR de Paris 5, Paris 7 et Paris 13, crée un centre dédié au Hall Pajol ; « nous modifions complètement nos procédures pédagogiques et délaissons les systèmes traditionnels de formation, avec l’introduction de ces jeux », souligne le Pr Patrick Plaisance, qui supervise le DU « gestion des urgences vitales sur simulateur humain » à partir d’un jeu sérieux.
e-Renaissance.
« Nous assistons à une révolution silencieuse, aussi considérable qu’a été le passage du Moyen-Âge à la Renaissance », estime le Dr Jacques Lucas, vice-président de l’Ordre, délégué général aux systèmes d’information en santé. Une « e-Renaissance », comme la baptise Idriss Aberkane. Bien sûr, les résistances, budgétaires, territoriales et psychologiques, freinent le mouvement. « Mais la ludification s’accélère en médecine plus vite que dans l’aéronautique, constate Idriss Aberkane. Le jeu vidéo, c’est la fibre optique des transferts de connaissance. Aucune technologie ne permet de transférer un savoir, ou un savoir-faire plus rapidement. Car moins on peut robotiser, plus on doit ludifier. »
Et le combat ne fait que commencer, alors que se multiplient les nouveautés technologiques. Avec les nouveaux casques et les lunettes stéréoscopiques (Hololens de Microsoft, PS VR de Sony), un monde nouveau est en train de naître : les hologrammes sollicitent les neurones des étudiants et des praticiens dans le cadre d’expériences de plus en plus intenses et concrètes. « Les caméras bio-inspirées en trois dimensions détectent instantanément la présence des tumeurs et permettent, d’un doigt, de les réduire, s’enthousiasme Idriss Aberkane. Ces nouvelles technologies vont rendre le médecin « céphalophore » : par l’action de son index, son cerveau pourra interagir sans effraction sur tous les organes du patient. Les serious games ouvrent la voie dès aujourd’hui à cette médecine augmentée, qui ne diminue nullement le médecin, mais qui augmente ses performances. »
* «Libérez votre cerveau !», Robert Laffont, 284 p., 20 euros.
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