C'est un événement inédit qui illustre bien la férocité du débat entre anti- et pro- vape. Le « Journal Of the American Heart Association » (JAHA) vient de retirer une publication de juin dernier qui a fait couler beaucoup d'encre : l'étude transversale menée par les Drs Dharma Bhatta et Stanton Glantz (centre pour l'éducation et la lutte contre le tabac de l'université de Californie-San Francisco) établissait le lien entre vapotage et surrisque d'infarctus du myocarde.
Pour ce travail, les chercheurs se sont basés sur les 2 volets successifs (vague 1 et vague 2) de l'enquête « Population Assessment of Tobacco and Health » pour conclure à un risque d'infarctus du myocarde multiplié par 2,25 chez les utilisateurs réguliers de cigarette électronique.
Une méthodologie contestée
Dès la publication des résultats, la méthodologie de ce travail n'a eu de cesse d'étonner ceux qui se plongent dedans. « Il y a très rapidement eu des critiques, se souvient le Pr Daniel Thomas, cardiologue et porte-parole de la Société francophone de tabacologie. En premier lieu, il y avait un manque très net de clarté en ce qui concerne la chronologie : on ne savait pas si le patient utilisait déjà la cigarette électronique au moment où l'infarctus est survenu. Ensuite, il semblait hasardeux d'attribuer un surrisque d'infarctus à la cigarette électronique dans une population qui est par ailleurs fumeuse ou ancienne fumeuse. »
C'est sur la base du premier point soulevé par le Pr Thomas, celui de la chronologie, que le comité de lecture du « JAHA » a pris la décision, le 18 février dernier, de retirer la publication. Contacté par « le Quotidien », le Dr Stanton Glantz défend son étude, et explique avoir pris en compte la question de la temporalité : « Lors de la deuxième phase de l'enquête, nous avons demandé aux participants l'âge qu'ils avaient lors de leur infarctus ou de leur pontage coronarien, ainsi que l'âge qu'ils avaient lorsqu'ils ont commencé la cigarette électronique. » En prenant en compte ces nouvelles données sur la temporalité, « l'effet de la cigarette électronique sur le risque d'infarctus était le même » dans les 2 volets de l'enquête, « mais il n'était pas statistiquement significatif dans la vague 2 à cause de la faible taille de l'échantillon (270 infarctus entre les vagues 1 et 2, NDLR). »
Le Dr Ivan Berlin, du département de médecine interne et d'immunologie clinique de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et premier investigateur de l'étude ECSMOKE comparant cigarette électronique et varénicline, affiche son incompréhension face à ce qu'il qualifie de « faute critique » de la part des relecteurs. « Les auteurs tirent des conclusions d'une vague 3 et d'une vague 4 de l'enquête, alors qu'elles ne sont même pas décrites dans les "matériels et méthodes", pointe-t-il du doigt. C'est inacceptable ! Je ne sais pas comment ils ont pu laisser passer ce papier. »
Symbole d'un débat non apaisé
Pour le Pr Thomas, cet événement est représentatif du climat particulier qui règne dans le débat très polarisé autour de la cigarette électronique. « À ma connaissance, c'est la première fois que l'on assiste à ce genre de rétractation dans une revue de ce niveau, pour un sujet aussi important, explique-t-il. Le premier auteur, Stanton Glantz, avait sa conclusion en tête avant de commencer son travail, et c'est dommage car cet incident ternit la réputation d'une équipe dont le travail dans la lutte contre le tabac est par ailleurs très pertinent. »
Pour le Dr Berlin, « Stanton Glantz est un grand nom dans le domaine de la lutte contre le tabac pensant qu'il faut éradiquer le tabac et la cigarette électronique, confirme-t-il tout en regrettant la polarisation du débat entre pro- et anti-tabac. C'est devenu une lutte idéologique ».
Un impact cardio-vasculaire encore non déterminé
« Notre papier a considérablement attiré l'attention des forces pro-e-cigarette, à commencer par le Pr Brad Rodu, de l'université de Louisville, qui a un long historique de travaux menés avec l'industrie du tabac », répond sur ce point le Dr Glantz. En cas de critique technique sur une étude, « le protocole veut que l'on adresse une lettre à l'éditeur de la revue qui invite ensuite les auteurs à répondre. Rodu et ses collègues ont rendu publiques, notamment dans "USA Today", plusieurs lettres critiquant notre travail. Une tactique classique de l'industrie. »
Indépendamment de ces résultats désormais caducs, la question de l'impact cardio-vasculaire de la cigarette électronique n'est toujours pas résolue. « Chez les jeunes utilisateurs, il n'y a apparemment pas de signal, mais on ne sait pas quel peut être l'effet de la cigarette électronique chez les personnes pus âgées ou chez les patients coronariens », s'interroge le Pr Berlin. Le Pr Thomas évoque certains résultats d'étude mécanistique qui tendent à montrer un effet de la vapeur de cigarette électronique sur la fonction endothéliale, « mais dans des proportions bien moindres que les dommages occasionnés par le tabac ».
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