Dans la lutte contre les addictions aux opiacés, un nouveau traitement de substitution à base de buprénorphine, le Buvidal, est disponible en France depuis juillet dernier. Injectable de manière hebdomadaire ou mensuelle et à libération prolongée, il représente une nouvelle option thérapeutique pour la prise en charge de la dépendance aux opiacés. Mais les addictologues ont déploré le 2 novembre, lors d'un colloque à l'Assemblée nationale*, un accès trop restreint à ce traitement, alors que la dépendance aux opioïdes ne cesse de croître.
En Europe, 5 000 décès par surdose d’opiacés ont été enregistrés en 2019 (+3 % par rapport à 2018). En France, les hospitalisations et les surdoses mortelles (503 décès recensés en 2020) ont été multipliées par trois en 10 ans. Si le phénomène est « sans commune mesure avec la crise des opiacés aux États-Unis, les courbes suivent la même tendance », observe le Dr Michaël Bisch, responsable du service d'addictologie du CHRU de Nancy et coordonnateur du centre de soins d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) « La Maison des Addictions ».
La crise sanitaire a contribué à accentuer le phénomène de hausse des consommations : « la tendance générale est à l’augmentation du stress et des souffrances dont se nourrissent les addictions », poursuit le psychiatre, qui, en conséquence, constate un allongement de « la file active des CSAPA sans augmentation des moyens ».
Une place dans la stratégie thérapeutique encore « à préciser »
Dans un avis de mars 2021, la Haute Autorité de Santé (HAS) indique que la place du Buvidal dans la stratégie thérapeutique reste « à préciser » et « dépendra notamment de l’acceptation par le patient des règles inhérentes à ce traitement ». Mais sur le terrain, les addictologues mesurent déjà ses bénéfices. Indiqué chez l'adulte et l'adolescent âgé de 16 ans ou plus, le Budival offre une meilleure stabilité de la concentration sanguine par rapport à la forme orale. Il permet également d’éviter les oublis de prise, de réduire les risques de surdose et les mésusages.
Et alors que les traitements de substitution par comprimé peuvent ne pas être pris, rendant possible la consommation, « l’injection empêche la prise d’opioïdes », insiste le Dr Fadi Meroueh, chef de l’unité sanitaire de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone et président de l’association Health Without Barriers. La posologie, hebdomadaire ou mensuelle, favorise également le déconditionnement au geste, ajoute Arnaud Vesin, directeur général de Camurus France, fabricant du Buvidal.
En milieu carcéral, « 80 % des détenus sont concernés par une addiction (tabac compris, NDLR). Et 30 % souffrent d’une addiction à la cocaïne ou à l’héroïne », indique le Dr Meroueh. Dans ce milieu où les traitements de substitution aux opiacés oraux sont l’objet de stigmatisation, mais aussi de revente et de racket, le Buvidal offre un réel bénéfice. Il permet notamment une meilleure gestion des sorties de prison.
« À la sortie de détention, les problèmes sociaux prennent le dessus et conduisent à négliger la santé », souligne le Dr Jean-Michel Delile, président de la Fédération Addiction. Les anciens détenus se retrouvent ainsi dans un « vide thérapeutique », décrit le Dr Meroueh, entre la sortie et la prise en charge à l’extérieur. L’effet de long terme du Buvidal allonge la période de transition permettant d’organiser une prise en charge par un CSAPA.
L'enjeu de la continuité des soins
Cette continuité des soins est au cœur des préoccupations des addictologues. Pour l’heure, le Buvidal n’est délivrable qu’à l’hôpital, en CSAPA ou dans les établissements pénitentiaires et son utilisation est réservée à un usage professionnel. L’injection se fait à l’hôpital, en prison ou en CSAPA, l’auto-administration n’étant pas possible. Mais surtout, les professionnels restent dans l’attente d’un modèle de financement.
À l’heure actuelle, les CSAPA « n’ont pas les budgets » pour cette prise en charge, souligne Arnaud Vesin, rappelant que le traitement coûte 360 euros par mois, contre 40 euros pour les autres traitements de substitution aux opiacés. Selon lui, 1 500 patients pourraient bénéficier de ce traitement via les unités de soins en prisons ou les CSAPA.
« Les CSAPA doivent pouvoir poursuivre le traitement » initié en prison, estime le Dr Delile, appelant à la signature d’un accord-cadre pour la coopération entre les lieux de détention et les CSAPA. Le président de la Fédération Addiction juge également qu’il est nécessaire de mettre en place pour les CSAPA une « dotation spécifique sous l’autorité de la direction générale de la Santé ». Pour le Dr Meroueh, il y a urgence à faciliter l’accès au Buvidal. « Ça me dépasse qu’on nous mette des bâtons dans les roues pour aider nos patients », s’agace-t-il.
*Colloque intitulé « Opioïdes : nouvelle crise sanitaire ? Accès et continuité des soins », organisé par les députés Caroline Abadie (LREM - Isère) et le Dr Cyrille Isaac-Sibille (MoDem – Rhône)
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