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Dossier

Fin de vie à domicile

Sédation profonde et continue : les généralistes veulent simplifier la procédure

Par Camille Roux - Publié le 17/01/2020
Sédation profonde et continue : les généralistes veulent simplifier la procédure

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La mise en examen, fin novembre, d’un généraliste de Seine-Maritime accusé d’avoir causé la mort de cinq personnes âgées en leur administrant du midazolam, médicament réservé à un usage hospitalier, a relancé le débat sur la fin de vie à domicile. De nombreux médecins, dont les syndicats de libéraux, ont apporté leur soutien au praticien, et demandent aux pouvoirs publics de faciliter la procédure de la sédation profonde et continue en ville. Interpellée, Agnès Buzyn a annoncé l’ouverture de travaux sur le sujet.

C’est une affaire qui anime la médecine générale depuis plusieurs semaines. La mise en examen, fin novembre, du Dr Jean Méheut-Ferron, généraliste à Angerville-la-Martel (Seine-Maritime), pour avoir involontairement causé la mort de cinq personnes âgées en prescrivant un médicament réservé à un usage hospitalier, a vivement relancé le débat sur la fin de vie à domicile. Il est reproché au généraliste de s’être procuré avec l’aide de son épouse, médecin anesthésiste, des ampoules de midazolam, un puissant sédatif utilisé lors des arrêts de traitement en cas d’« obstination déraisonnable », et autorisé par la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie. Depuis sa mise en examen prononcée par le parquet de Rouen, le Dr Méheut-Ferron est interdit d’exercice. La Fédération des médecins de France (FMF), présidée par le généraliste Jean-Paul Hamon, s’est immédiatement mobilisée pour soutenir son confrère seinomarin, un généraliste « connu, compétent et dévoué » qui a « eu le courage de prendre en charge des fins de vie à domicile ». Une pétition de soutien au praticien, lancée la semaine passée par le même syndicat, a reçu pas moins de  1 000 signatures de médecins, dont une majorité de généralistes. 

Principes légaux 

Outre cette affaire judiciaire, dont les éléments précis du dossier ne sont pas connus, la question de la sédation profonde et continue à domicile revient sur le devant de la scène médiatique. Aujourd’hui, la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) peut être conduite au domicile du patient mais le médecin doit suivre une procédure spécifique. Le code de la santé publique précise que toute décision d’engager une sédation profonde et continue relève d’une procédure collégiale (la HAS a publié en 2018 un guide de parcours de soins sur la sédation).

Dans le cas du midazolam, recommandé en première intention par la HAS, le généraliste n’est pas autorisé à le prescrire et il n’est délivré qu’en pharmacie hospitalière. Toutefois, la molécule peut être administrée par le médecin traitant dans le cadre d’une prise en charge en équipe. « L’un des principes clés est l’exigence par les textes d’une décision prise à l’issue d’une procédure collégiale. Si la décision appartient bien au médecin, elle ne peut être prise sans discussions préalables, explique Me Sophie Garcelon, juriste spécialisée en responsabilité médicale et présidente du cabinet Wingsante. Il faut formaliser un temps de réunion et de discussion, éventuellement par téléphone, avec l’équipe qui prendra en charge le patient. Vérifier et constater qu’on est bien dans les conditions de la mise en place d’une sédation profonde et définir le protocole qui sera éventuellement mis en place. Les infirmiers vont administrer ces produits et doivent être inclus dans la discussion, de même que l’équipe de soins mobile de soins palliatifs. Le décret d’application parle aussi de l’avis d’un médecin consultant spécialiste en soins palliatifs », ajoute-t-elle.

L’information et la discussion avec les proches, le consentement du patient lorsque celui-ci est conscient, et la traçabilité de la décision figurant dans le dossier de suivi du patient, sont aussi des conditions légales. « Juridiquement, ces principes fondamentaux sont destinés à protéger le patient, son entourage et le médecin lui-même. Pour le médecin, c’est le respect de ces principes clés qui va permettre sa défense en cas de mise en cause éventuelle. Cela n’empêchera pas la plainte mais cela permet de se défendre au mieux », précise la juriste.

Les libéraux exigent les mêmes moyens que l’hôpital

Dans le cas de l’affaire Méheut-Ferron, l’utilisation du midazolam, médicament de la catégorie des benzodiazépines, aujourd’hui réservé à la prescription et à la délivrance hospitalière, pose la question de cette exclusivité. Les médecins libéraux réclament ainsi le droit pour les généralistes de prescrire du midazolam pour mettre en œuvre une sédation profonde jusqu’à la mort « Il n’est pas tolérable que les Français qui ont décidé de finir leur vie à domicile ne puissent pas bénéficier des mêmes conditions de confort en matière de fin de vie, des mêmes traitements anti-douleur leur permettant de mourir dans la dignité », estime le président de la CSMF, le Dr Jean-Paul Ortiz, dans un billet paru sur son blog. « Évidemment, l’utilisation du midazolam en ville serait tracée, encadrée », précise le Dr Hamon. Le généraliste de Clamart reconnaît avoir, lui aussi, pendant ses 45 ans d’exercice, aidé des patients à partir, en utilisant d’autres anxiolytiques que le midazolam. « S’il fallait interdire d’exercice tous les généralistes qui prennent en charge la fin de vie sans être tout à fait dans les règles, la France serait un Sahara médical », ajoute-t-il.

Mais qu’en disent les pouvoirs publics ? Le Dr Antoine Leveneur, président FMF de l’URML Normandie, avait adressé une lettre ouverte début décembre à la ministre de la Santé Agnès Buzyn, afin de lui demander de prendre position sur ce dossier sensible. « Lorsque le recours à l’HAD n’est pas le plus pertinent, l’alternative est simple quand il s’agit d’apaiser et de soulager efficacement à leur domicile des patients en fin de vie dans le respect de la loi Claeys-Leonetti : soit se résoudre à les adresser aux établissements, soit mettre en œuvre à domicile les mesures efficaces et respectueuses pour les patients, avec ce risque non négligeable de se retrouver, comme notre confrère, devant la justice », écrivait-il.

Buzyn promet un plan sur la fin de vie en ville

En réponse aux nombreuses interpellations, la ministre s’est finalement exprimée la semaine passée à l’Assemblée nationale et a annoncé qu’un nouveau plan de développement des soins palliatifs en ambulatoire allait être lancé. « Je souhaite que des travaux soient menés de façon urgente pour encadrer, sécuriser et garantir l’accès à des soins palliatifs des patients en ville, et garantir l’accès à ces spécialités qui sont prescrites hors AMM et utilisées dans la sédation profonde et continue prévue par la loi Claeys Leonetti », a-t-elle affirmé dans l’hémicycle. Des travaux qui seront « articulés avec la finalisation de la recommandation de bonne pratique prévue par la HAS sur la prise en charge médicamenteuse en situation palliative », poursuit la ministre. Sans pour autant assurer que les modalités de délivrance du midazolam en particulier seraient revues. « Cette molécule est encadrée en ville pour plusieurs raisons. D’une part, c’est une benzodiazépine très puissante avec des effets secondaires importants et son utilisation nécessite donc une formation adaptée garantissant la sécurité des patients », a affirmé Agnès Buzyn.

La nécessité d’une décision collective en ville dans le cadre de soins palliatifs peut aussi, selon elle, expliquer pourquoi le midazolam est pour l’instant réservé à la prescription hospitalière. « Le sujet est la possibilité de faire des soins palliatifs en ville de façon encadrée. Aujourd’hui, l’HAD peut l’utiliser, les unités mobiles de soins palliatifs le peuvent, et ce parce que toutes les recommandations professionnelles précisent que des soins palliatifs doivent faire l’objet de décisions collégiales. Or, un médecin libéral en ville seul ne peut pas garantir cette collégialité », poursuit la ministre. 

Les syndicats demandent des mesures urgentes

Le SML a salué dans un communiqué la volonté de la ministre de travailler sur le sujet de la sédation profonde et continue à domicile, lui suggérant d’organiser sans tarder des « États généraux de la fin de vie à domicile ». Cet événement « réunirait notamment autour des associations de patients et d’aidants, avec les représentants des syndicats des médecins libéraux, des infirmiers et des pharmaciens pour élaborer des orientations pragmatiques et humaines rapidement concrétisées », réclame le syndicat. La FMF somme pour sa part la ministre de « publier rapidement un décret pour que le midazolam puisse être délivré en ville sur des ordonnances sécurisées ». « Le temps de la HAS et de l’évolution des recommandations n’est pas celui des médecins généralistes. C’est maintenant qu’ils ont besoin des outils les plus appropriés pour prendre en charge les patients en fin de vie », conclut le président du syndicat Dr Jean-Paul Hamon.

Dossier réalisé par Camille Roux