Des contenus violents, culpabilisants mais surtout dangereux : sur TikTok, des injonctions extrêmes de jeunes femmes à contrôler et à réduire drastiquement son alimentation pullulent sous le hashtag #skinnytok et peuvent contribuer à aggraver les troubles des comportements alimentaires (TCA), alertent les professionnels.
« Tu n'es pas moche, tu es juste grosse », « Ton estomac ne gargouille pas, il t'applaudit », « Plaisir éphémère, regrets éternels »… Depuis plusieurs mois, les discours de jeunes filles faisant la promotion de la maigreur extrême gagnent en visibilité sur TikTok et d’autres réseaux sociaux.
Une tendance qui n'est pas sans rappeler le mouvement dévastateur « pro-ana » (pour pro-anorexie) des années 2010, qui sévissait sur Skyblog. « C'est une nouvelle variante, décrit le Pr Pierre Dechelotte, médecin et professeur de nutrition au CHU de Rouen. Ce sont des personnes qui souffrent de TCA, qui deviennent des ambassadrices de la dénutrition et qui font du prosélytisme malsain vis-à-vis des attitudes anorexiques. »
En effet, au-delà de partager des photos de leur corps dénutri, de leur routine sportive excessive et de leurs repas plus qu'hypocaloriques, ces jeunes filles cherchent à culpabiliser celles qui ne parviennent pas à se restreindre à ce qu'elles présentent comme un mode de vie sain. « Elles tiennent des propos chocs, brutaux, assez dégradants et jouent beaucoup sur la honte que peuvent ressentir les personnes qui vont être exposées à ces contenus », détaille le Dr Hugo Saoudi, psychiatre spécialisée dans les TCA.
En France, près d'un million de personnes souffrent d'anorexie mentale, de boulimie ou d'hyperphagie boulimique, particulièrement des femmes âgées de 17 à 25 ans.
Contenus « toujours plus trash »
Pour lutter contre le risque « d'influencer d'autres adolescentes », Charlyne Buigues, infirmière spécialisée dans les TCA, a lancé une pétition pour alerter les pouvoirs publics. Ses patientes – âgées de 13 à 18 ans – viennent régulièrement la voir, en pleurs, lui confiant passer des heures à regarder ce type de vidéos. « Les réseaux sociaux mettent de plus en plus en difficulté mes patientes et mon travail, il n'est plus possible de ne rien faire », explique-t-elle.
Entendant son alerte, la ministre en charge du Numérique, Clara Chappaz, a saisi la semaine dernière le régulateur des médias et la Commission européenne, assurant qu'elle ne « laisserai(t) par les plateformes fuir leurs responsabilités ».
Outre le manque de modération, le système algorithmique de TikTok est régulièrement accusé d'enfermer les jeunes dans des bulles de filtres. « Il y a un phénomène de boule de neige qui fait que la personne qui tombe – volontairement ou non – sur des publications pro-anorexie va se retrouver embarquée dans un fil de contenus toujours plus trash et qui vont entretenir une tendance obsessionnelle de l'image corporelle », dénonce le Pr Dechelotte.
Même si les causes des troubles alimentaires sont multifactorielles, ces contenus peuvent fragiliser des personnes déjà vulnérables. « Ces vidéos peuvent créer des difficultés chez des personnes qui ont déjà des préoccupations autour de leur alimentation et de leur corps mais aussi aggraver les troubles de celles qui sont déjà malades », prévient le Dr Hugo Saoudi.
Le risque est aussi très important pour celles en voie de guérison : « C'est très dangereux, on ne sort pas des troubles alimentaires en un claquement de doigts. Ce sont des années de travail qui peuvent vite être détruites », avertit la diététicienne nutritionniste Anne-Laure Laratte.
Risque d'arrêt cardiaque
Très dévastateurs, les TCA peuvent engendrer de graves problèmes, notamment cardiaques et de fertilité, et constituent la deuxième cause de mortalité prématurée chez les 15-24 ans, selon l'Assurance-maladie. « La dénutrition est banalisée voire valorisée. Des vidéos de filles qui se font vomir cumulent des millions de vues, alors qu'elles risquent un arrêt cardiaque », rappelle Charlyne Buigues alias @aucoeurdestca sur Instagram.
Depuis la crise sanitaire du Covid, les demandes de prise en charge pour des TCA continuent d'exploser et l'offre de soin se révèle très insuffisante, souligne le Pr Dechelotte, qui regrette « des semaines voire des mois d'attente ». Pour lui, il est ainsi « plus que temps » de mettre « des limites » à ce qui circule sur les réseaux sociaux.
Et même si TikTok a mis en place un discret message de prévention accessible seulement en recherchant le #skinnytok, Charlyne Buigues conseille souvent à ses patientes de désinstaller l'application. « L'une d'elles m'a dit : Charlyne je t'ai écoutée et depuis, je revis. »
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