LE QUOTIDIEN : La région PACA est marquée par de grandes disparités territoriales. Quelles actions allez-vous mener pour les réduire ?
YANN BUBIEN : La région Provence-Alpes-Côte d’Azur se caractérise en effet par un littoral très dense en établissements et en professionnels de santé, et un arrière-pays moins bien doté. Ce contraste se double d’inégalités sociales particulièrement marquées. J’ai rencontré l’ensemble des acteurs concernés dans les six départements car il est fondamental, non seulement de bien connaître le territoire, mais aussi d’identifier et de valoriser les actions innovantes de professionnels de santé. Je me suis par exemple rendu à Moustiers-Sainte-Marie, où des pharmaciens d’officine réalisent des rétinographies qui sont ensuite interprétées par un cabinet d’ophtalmologie situé à Aix-en-Provence. Cette expérimentation financée par l’ARS permet aux personnes testées de recevoir un diagnostic dans les deux heures et d’être orientées en cas de besoin. Plus généralement, mon objectif est de renforcer l’accès aux soins grâce à un maillage territorial plus fort. Aujourd’hui, la région compte 129 maisons de santé pluriprofessionnelles, elles seront 170 en 2025. Ensuite, nous misons beaucoup sur l’exercice coordonné et le développement de protocoles de coopération. Et nous soutenons bien sûr les jeunes médecins dès l’internat grâce à l’appui des collectivités territoriales et des URPS.
Précisément, qu’en est-il de la démographie médicale ?
Nous enregistrons l’une des plus fortes densités de France avec 170 médecins généralistes pour 100 000 habitants contre 147 au niveau national. Le constat est le même pour les pharmaciens (125 pour 100 000 habitants contre 108 au niveau national), les sages-femmes (178 vs168) ou les kinésithérapeutes (196 vs 136). Mais nous devons aussi renouveler les générations car un médecin généraliste sur trois a aujourd’hui plus de soixante ans. Dans le cadre de l’accompagnement des jeunes médecins, nous leur proposons des forums ou mettons des logements à leur disposition – en partenariat avec des bailleurs ou des collectivités territoriales – afin qu’ils puissent découvrir l’ensemble des sites de la région… Et s’y installer. Nous avons également mis en place un guichet unique et des financements ciblés pour les inciter à exercer dans les zones les moins bien dotées en professionnels de santé.
Vous avez exprimé le regret d’un manque de complémentarité entre public, privé lucratif et privé non lucratif. Comment améliorer les synergies ?
Dans notre région, plus de 50 % de l’offre de soins relève du secteur privé lucratif. J’ai toujours été convaincu que l’une des chances de la France est de disposer d’une complémentarité public-privé. Mon souhait est maintenant que les synergies prennent le pas sur la concurrence tout en respectant, bien évidemment, les statuts et prérogatives de chacun. C’est l’un des chantiers sur lequel je travaille avec l’ensemble des acteurs, y compris ceux du médico-social, avec comme finalité commune et partagée, la qualité et la continuité des soins.
Un autre défi concerne le décloisonnement des champs sanitaire, médico-social et social. Que proposez-vous ?
L’approche intégrée des parcours de soins est une priorité. J’ai toujours œuvré à la suppression des barrières. Le vieillissement de la population, la progression des maladies chroniques nous obligent à mettre un terme à une organisation morcelée au sein de laquelle les acteurs peinent à se coordonner. Pour les personnes âgées par exemple : notre région compte déjà 29 centres de ressources territoriaux pour proposer une offre de soins globale et continue et je souhaite augmenter leur nombre. Nous devons nous adapter à la volonté clairement exprimée par les personnes âgées de rester le plus longtemps possible à domicile et nous montrer très agiles pour, par exemple, médicaliser les Ehpad qui doivent s’adapter à ces nouvelles réalités. Nous avons également sept dispositifs d’appui à la coordination qui couvrent toute la région et qui accompagnent les professionnels de santé, sociaux et médico-sociaux pour les cas les plus complexes afin d’éviter les ruptures de parcours. Les contrats locaux de santé se développent également, initiés par les collectivités territoriales. Ce sont là aussi de formidables outils que je souhaite promouvoir pour apporter des réponses concrètes sur les territoires.
Le précédent gouvernement a présenté les objectifs prioritaires pour promouvoir la santé mentale. Quelles actions allez-vous développer ?
J’ai beaucoup travaillé sur le sujet, publié deux ouvrages (1) et lancé au niveau national, lorsque je travaillais pour la ministre Catherine Vautrin, le dispositif « Mon soutien psy » qui prévoit le remboursement par l’Assurance-maladie de douze consultations psychologiques dès l’âge de 3 ans. Dans notre région, nous avons aussi mis en œuvre nombre d’actions concrètes : le repérage précoce des problèmes de santé mentale en lien avec l’Éducation nationale, l’implantation de sept maisons des adolescents ou encore le renforcement des dispositifs de soutien. La priorité consiste dorénavant à former davantage de psychiatres et de pédopsychiatres tout en mobilisant un ensemble d’acteurs : infirmiers de pratique avancée, pairs aidants, membres d’associations… Sans oublier le développement des consultations à distance grâce à la télésanté.
Vous êtes également attaché au développement de l'offre de soins palliatifs et à l'accompagnement à la fin de vie. Que préconisez-vous ?
Notre région compte 15 unités de soins palliatifs et 32 équipes mobiles de soins palliatifs. Et je ne peux m’empêcher de citer « La Maison » à Gardanne qui est un modèle de ce que nous souhaitions développer avec la ministre Catherine Vautrin dans le cadre du plan Soins palliatifs. J’espère qu’il verra le jour. Nous serons au premier rang pour déposer des projets de maisons d’accompagnement qui offrent une fin de vie apaisée en dehors du milieu hospitalier et qui répondent à une demande légitime de la population.
Pourquoi avoir missionné François Braun pour accompagner les équipes des services d’urgence des Alpes de Haute-Provence ?
Dès mon arrivée, j’ai été alerté sur la situation de certains services d’urgence notamment à Digne-les-Bains et à Manosque. Je suis allé rencontrer les équipes hospitalières, ainsi que les maires et je leur ai proposé dès le mois d’août de missionner François Braun dont j’ai toujours salué l’expertise. Il a lui aussi rencontré l’ensemble des soignants et des élus. Il rendra ses conclusions en début d’année et l’ARS accompagnera son plan d’actions.
Que retenez-vous de vos différentes expériences en cabinets ministériels ?
Tout d’abord, j’ai beaucoup de respect pour celles et ceux qui s’engagent en politique et les quatre ministres que j’ai servis - Roselyne Bachelot, Xavier Bertrand, Agnès Buzyn et Catherine Vautrin - sont des personnalités formidables. J’ai aussi eu la chance de côtoyer des personnes qui travaillent énormément et qui ont le service public chevillé au corps. Découvrir comment se prennent les décisions, s’écrivent les lois ou se construit un PLFSS est aussi très enrichissant. J’aime alterner les postes sur le terrain et en cabinet ministériel. C’est le sens de ma carrière.
Vous avez codirigé en mai 2024 un ouvrage sur l’IA en santé (2). Quel message souhaitez-vous partager sur ce sujet ? Et avez-vous d’autres livres en préparation ?
Un message ? « N’ayons pas peur de l’intelligence artificielle ». Elle est à l’origine de profondes mutations technologiques, scientifiques, organisationnelles, économiques et humaines dans nos secteurs. Nous devons donc nous saisir des opportunités et ne surtout pas nous laisser déposséder du sujet par des acteurs qui ont moins de légitimité que les professionnels de santé. J’ai trois autres livres en préparation. Le premier, sur la prévention et la promotion de la santé, sortira début 2025. Je vais ensuite actualiser l’ouvrage « Concevoir et construire un hôpital » aux éditions du Moniteur et écrire une comparaison des systèmes de santé européens.
Repères
2000 : Directeur de cabinet à la Fédération hospitalière de France
2005 : Secrétaire général du Centre hospitalier Sud-Francilien (Essonne)
2007 : Directeur adjoint de cabinet de la ministre de la Santé Roselyne Bachelot
2009 : Conseiller social de l'ambassadeur de France à Londres
2010 : Conseiller au cabinet du ministre de la Santé Xavier Bertrand
2011 : Directeur général du CHU d'Angers
2017 : Directeur adjoint du cabinet de la ministre Agnès Buzyn
2019 : Directeur général du CHU de Bordeaux
Janvier 2024 : Directeur adjoint de cabinet de la ministre Catherine Vautrin
Juillet 2024 : Directeur général de l’Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur
(1) La santé mentale en France : faire de la psychiatrie une grande cause nationale, LEH édition : « architecture pour la psychiatrie de demain », Presses de l’EHESP.
(2) L'IA en santé, Yann Bubien, Yann-Maël Le Douarin, Jean-Louis Fraysse, Harold Astre, LEH éditions. Graph.
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