Les députés pointent une contradiction entre la généralisation du tiers payant et le principe du paiement direct, institué par une mesure législative qui n’est pas abrogée. Est-ce juridiquement problématique ?
Bertrand Mathieu Introduire une disposition sans abroger celle antérieure ne pose pas de problème mais il faut que les deux dispositions soient conciliables ou que la seconde vaille abrogation implicite de la première. C’est pourquoi l’argumentation des députés est fondée sur l’intelligibilité de la loi. Le Conseil constitutionnel va vérifier si, en l’état du droit, c’est-à-dire en combinant les dispositions modifiées et les nouvelles, on arrive à une norme compréhensible.
Cela contrevient-il au principe d’intelligibilité de la loi ?
B.M. Le principe est ici très largement évoqué, tout comme est évoqué le principe d’incompétence négative du législateur, soit le fait qu’il ne donne pas assez de détails et renvoie au gouvernement le soin de prendre des dispositions. Ces principes sont tout à fait invocables, notamment quand on manque de munitions pour attaquer le contenu même du texte. Mais je ne dis pas que c’est le cas ici.
Les sénateurs attaquent sur le fondement de la liberté d’entreprendre qui serait mise à mal. Qu’en est-il ?
B.M. La saisine est assez peu motivée sur ce point-là. Le Conseil va tout d’abord chercher à savoir si le tiers payant porte réellement atteinte à la liberté d’entreprendre. Dans l'absolu, ce n’est pas caractérisé, ça porterait plutôt atteinte au caractère libéral de la médecine. Et, sur ce point, le Conseil s’est montré jusqu’alors extrêmement réservé, laissant, par exemple, en suspens la question du libre choix du médecin par le patient. Par ailleurs, il a admis, très largement, des restrictions à la libre activité médicale, notamment pour des raisons qui tiennent aux droits sociaux et à un égal accès aux soins.
Ce sera probablement l’occasion d’un débat sur le caractère libéral de la médecine. Par analogie avec la liberté d’entreprendre, rappelons que pour le Conseil celle-ci n’est ni générale ni absolue. Et, dans ce domaine, il admet en général assez facilement les limites à la liberté. Il convient ici de savoir si l’atteinte est proportionnelle à l’objectif constitutionnel poursuivi. À partir du moment où le tiers payant est généralisé, on pourrait considérer que ça va bien au-delà d’une nécessité sociale.
La décision pourrait donc avoir un large impact pour la médecine libérale ?
B.M. Le Conseil peut choisir de traiter strictement la question qui lui est posée, en termes de liberté d’entreprendre, et de ne pas prendre en compte le caractère spécifique de l’activité médicale. Il peut aussi s’intéresser, au fond, à l’activité libérale des médecins. À cet égard, il y a deux principes qui sont en suspens dans la jurisprudence constitutionnelle : celui du libre choix du médecin par son patient et celui de la liberté de prescription.
Avec le rapport entre le médecin et le patient, je crois qu’on a là un troisième volet de l’exercice libéral de la médecine. Si on ne reconnaît pas ces trois volets, la médecine perd un certain nombre de caractéristiques qui font qu’elle est libérale. On touche à des sujets restés en suspens dans la jurisprudence du Conseil et il est donc difficile de faire des pronostics.
Et que dire des arguments qui sont opposés au paquet neutre ?
B.M. Le législateur ne définit pas suffisamment précisément ce que doit contenir le paquet neutre. Se pose également la question de l’atteinte au droit de propriété car les fabricants de cigarettes sont propriétaires de la marque et du logo. Si le Conseil devrait admettre assez facilement qu’il y ait une atteinte au droit de propriété, justifiée pour des raisons de santé, il examinera alors le problème de l’indemnisation qui est la vraie question.
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