Il existe un accord général sur la situation du système de santé. Le Dr Bouet, président du Conseil National de l’Ordre des Médecins, le dit d’une manière très claire: « La situation se dégrade. Les patients comme médecins sont témoins de dysfonctionnements graves. Le système est devenu anachronique. Il ne répond plus ni aux attentes, ni aux besoins des patients et de leurs médecins ».
De fait, le système de santé est aujourd’hui confronté à trois difficultés: la chronicisation des pathologies et leur addition chez un même patient, l’achèvement de la transition démographique et l’existence de zones où l’offre de soins est réduite voire inexistante. « Nous sommes arrivés au bout d’une histoire », affirmait Mme A Buzyn en prenant ses fonctions.
Du constat à la persistance du déni
Malheureusement, beaucoup encore, n’envisagent pas les faits tels qu’ils sont et refusent d’interroger la doctrine stratégique des soins. Les politiques et leurs administrations restent dans le déni. Ils ne proposent qu’une gestion économique visant un sauvetage et donc la continuité du système. La croyance en l’excellence de notre organisation ne résiste pourtant pas aux faits. La dégradation de la qualité des soins est confirmée par la stagnation de l’espérance de vie et les mauvais scores en espérance de vie sans incapacité.
La coordination est un échec. Sa mise en forme réglementaire aura surtout permis une augmentation des coûts de fonctionnement et le développement du bureaucratisme. La pertinence s’est muée en un système de surveillance et de contrôle prenant chaque jour plus d’importance. L’organisation en silos est décriée mais maintenue. Le système ne tient plus que compensé que par les efforts de ses acteurs, avec l’inconvénient de générer surcoûts, erreurs et maltraitance institutionnelle.
De fait, la pression normative domine le système. La standardisation, les logigrammes, la qualité auto-satisfaite sont devenus la règle. Chacun constate la rigidification des pratiques opérationnelles. Ni les soignants, ni les malades ne sont satisfaits. Pas même les politiques et leurs administrations contraintes d’administrer la « potion amère » sans constater la moindre amélioration pour ceux qui regardent au-delà des chiffres.
Restant dans le déni, les tenants de « l’excellence du système » restent sans comprendre que la situation épidémiologique et démographique nous impose une réflexion sur les méthodes de prise en soin bien plus que sur le modèle économique et qu’il est nécessaire de penser une autre doctrine stratégique.
Que faire ?
N’a-t-on aucune piste ? Sommes-nous devant un gouffre d’ignorance ? Certains feignent de le croire. Ils pensent pouvoir sauver le système en le rendant soutenable sans changer son fonctionnement. Pourtant, des solutions existent. Toutes, bien que partielles, proposent une stratégie qui laissent à penser qu’il serait possible de réaliser 25 à 40% d’économies du côté sanitaire pour les répartir jusqu’au bout du social où les moyens manquent cruellement.
Soin inclusif, démarches de soins gériatriques et palliatives, soin curato-palliatif, soins de support, clinique de l’incertitude, modèle Buurtzorg, programme d’amélioration continue du travail en équipe (PACTE), évaluation clinique compréhensive, plateformes d’appui tous âges toutes pathologies... Les énergies et l’imagination ne manquent pas sur le terrain. Toutes ces formes sont prototypiques du suivi-accompagnement curato-palliatif continu de première ligne, qui est donc inclusif, projectif et effectivement centré sur le patient. Toutes ses formes renoncent aux soins planifiés et standardisés tels qu’ils sont imposés aujourd’hui, pour coller à la situation du patient et aux objectifs définis pour et avec lui.
Une telle forme de soin impose de réorganiser le système de santé dans toutes ses dimensions et par conséquence de passer du contrôle a priori au contrôle a posteriori, de prescrire à l’objectif et non plus au diagnostic, d’en finir avec la barrière d’âge entre handicap et dépendance, d’en finir avec les évaluations élaborant des critères d’inclusions et donc d’exclusions, d’introduire la polypathologie dans la structure du dossier de soins, de créer un data-système inter opérable, de restaurer l’hospitalité des structures de soin, de sortir des filières hors soins cadencés, de sortir les établissements médico-sociaux de la logique hospitalière, d’assujettir la couverture sociale à un suivi régulier...
Si certaines nécessités sont déjà prévues dans la loi Ma santé 2022, la cohérence globale reste absente. En 2022, seuls les outils de surveillance et de coercition seront en usage. Sortir du déni, c’est changer la doctrine stratégique et c’est ouvrir la porte à de multiples possibilités en restaurant la confiance. La prise en compte de la réalité impose de sortir du modèle analytique normatif issues des théories de l’économie, pour aller vers un modèle écologique, libéral et réellement démocratique qui ne renonce ni aux savoirs scientifiques ni à la bonne gestion.
Cela revient à dire que chaque acteur du soin doit retrouver son autonomie et être placé en situation de responsabilité, le contraire de la politique actuelle. Si l’objectif est de faire en sorte que le système de santé produise de la santé, alors il faut sortir du sauvetage d’une organisation en déroute et l’adapter aux contraintes épidémiologiques et démographiques.
Praticien hospitalier,
Gériatre à Nouméa (Nouvelle Calédonie)
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