Primé à Cannes, le film « 120 battements par minute » qui sort sur les écrans mercredi 23 août vient rappeler la croisade bruyante et tonitruante des militants d’Act Up depuis près de 30 ans. Industriels du médicament, institutions publiques et décideurs furent particulièrement visés par les « Zap » d’Act Up : ces happenings minutieusement préparés au cours desquels les militants font irruption et coupent la parole. Mais ce sont encore les ministres de la Santé qui furent les plus fréquentes victimes de ces actions choc. Le chahut pendant le discours d’Agnès Buzyn à l’ouverture du Congrès International du Sida le mois dernier à Paris avait ainsi presque l’apparence d’un bizutage. Pourtant, la nouvelle ministre de la Santé est loin d’être la première à ce poste à avoir fait les frais des manifestations surprises d’Act Up.
Ils veulent dénoncer la censure...
La plus spectaculaire fut sans conteste l’incroyable tapage organisé lors d’une des premières conférence de presse d’Elisabeth Hubert en juillet 1995. Les journalistes avaient été convoqués pour la présentation d’une campagne de prévention contre le Sida. A peine la ministre de la Santé d’alors prend-elle la parole qu’elle est vigoureusement interrompue par des militants de l’association. La veille, le Canard Enchainé avait révélé que les éléments les plus osés de cette campagne avaient été retirés in extremis par le gouvernement. Dans "Emotions... mobilisation !" (presses de sciences Po), l'antropologue Christophe Broqua raconte la scène par le menu. Pendant que les militants distribuent des tracts aux journalistes, la ministre de la Santé est alors vivement apostrophée. « Vous avez accepté que le gouvernement censure l’annonce sur les risques de contamination lors de la fellation et du cunnilingus. Vous ne pouvez pas dire, Mme Hubert que vous êtes ministre de la Santé, puisque nous savons tous que ce n’est pas vous décidez des annonces qui passeront dans cette campagne ».
Dans la foulée, voilà le Dr Hubert sommée à plusieurs reprises de s’expliquer ; et elle finira pas admettre que la campagne a bien été modifiée. L’incident est vécu par les participants à cette conférence de presse comme particulièrement violent verbalement, et presque physiquement, puisqu’un des meneurs parviendra à s’agripper à la table de la conférence de presse et continuera à invectiver la ministre à quelques centimètres du visage de cette dernière... Elisabeth Hubert n’a pas eu de chance, dans cette affaire, car cette campagne, la plus audacieuse des actions de communication sur le Sida jusque-là, avait été mise au point sous le précédent gouvernement et ce n’est pas elle qui, in fine, a procédé aux retouches qui suscitèrent la fureur d’Act UP…
... et militent pour l'accès aux innovations
Dans les années 1990, la France connaît encore des taux de contamination très élevés : autant de prétexte pour se faire entendre pour Act Up. Successeur d’Elisabeth Hubert avenue de Ségur, Hervé Gaymard fut lui aussi interpellés bruyamment par les militants de la cause Sida, cette fois pour faire pression sur l’accès aux antirétroviraux. Ces militants sont même allés jusqu’à Vancouver pour porter la contradiction au Secrétaire D’Etat lors du Congrès International sur le Sida… Le traitant, selon Libération, d’assassin et se tournant vers l’assistance en hurlant à son intention : « Shame, shame, shame !»
En 2004, c’est pour un tout autre motif que Philippe Douste-Blazy sera chahuté. La scène de passe à l’Hôtel de ville de Paris qui accueille ce jour-là les 9emes Assises des Elus Locaux contre le Sida. On y parle entre gens importants de la reconnaissance prochaine du Sida au rang de « grande cause nationale ». De retour aux commandes de la santé depuis le printemps, Douste est aussi à l’origine d’un plan d’économie pour l’Assurance maladie. Et c’est au moment où il prend la parole qu’il se fait apostropher par un militant d’Act Up lui balançant des tracts à la figure et incriminant le démantèlement de l’Aide médicale d’Etat par le gouvernement Raffarin.
Peu de ministres de la Santé n’auront pas eu droit à une visite surprise des militants d’Act Up. Même Simone Veil se sera fait interrompre le 1er décembre 1993. Alors qu’à l’occasion de la Journée mondiale contre le Sida une capote géante de 30 m est enfilée sur l’obélisque de la place de la Concorde, à 16h00, l’intervention de la ministre à l’Assemblée nationale est brièvement interrompue par une militante d’Act Up.
Les franchises dans le collimateur
Plus tard, même Roselyne Bachelot, pourtant largement acquise à la cause homosexuelle aura droit elle aussi à des démonstrations de ce genre au ministère de la Santé. En novembre 2017, en plein débat sur le PLFSS, un commando de membres actifs de l’association investissent et souillent l’extérieur du ministère de la santé pour protester contre la mise en place des franchises sur les actes médicaux et les médicaments. Aux cris de « franchises médicales, Bachelot coupable » et « malades précaires, malades en colère », les militants maculent les escaliers et la façade de faux de sang -un gand classique- avant d’être interpellés par la police.
En mai 2010, c’est à l’occasion de la journée nationale de lutte contre les hépatites B et C, qu’Act Up choisit pour cible l’avenue de Ségur, toujours tenue par Roselyne Bachelot. Alors que la ministre reçoit un colloque sur le sujet, ses militants déversent 260 foies de porc sur le perron du ministère, histoire d’alerter sur « les 2 600 morts par an dus à l’hépatite C en France », et de dénoncer, disent-ils, les effets d’annonce de la ministre...
Avec les migrants et les sans-papiers
Les ministres de la Santé de gauche auront sans doute été moins malmenés. Ça n’empêcha pas Act Up d’interpeller Bernard Kouchner au cours d’une Conférence de presse en juin 1998. A l’époque, l’association tente de faire pression auprès du ministre de la Santé de Lionel Jospin sur la censure de la campagne de prévention en direction des homosexuels, ainsi que sur le sort de 80 000 personnes sans papiers...
L’atmosphère se détendra par la suite. Le french doctor étant même le premier ministre de la Santé à rejoindre une manif organisée par l’association le 1er décembre 2001, à l’occasion de la Journée mondiale contre le Sida. Evoquant une reprise de l'épidémie, il explique alors à l'Associated Press. «Il faut faire en sorte que les associations et les pouvoirs publics marchent ensemble main dans la main pour faire prendre conscience de cette reprise».
La prévention en prison, une obsession
Entre Act Up et Marisol Touraine, les relations ne seront pas toujours aussi détendues. En juillet 2012, présente au Congrès international du Sida de Washington, l’ex-ministre de la Santé est prise à partie par les activistes sur l’interdiction des soins funéraires pour les personnes séropositives et sur le maintien des franchises sur l’accès aux soins. Comme souvent, quand les politiques sont pris à ce piège, elle botte en touche comme elle peut.
Un an plus tard, Act Up prouvera encore aux dépens de la ministre de François Hollande que l’association n’a rien perdu de ses débuts iconoclastes. C’est l’incarcération du fils de Marisol Touraine condamné à trois ans de prison, qui donne l’occasion à Act Up de reprendre un de ses chevaux de bataille : la prévention du sida en prison. Au comble de la provocation, l’association pond un communiqué intitulé « Act Up soutient le fils de Marisol Touraine ». Et de rappeler que « depuis des années, Act Up-Paris est l’une des seules associations qui se bat et dénonce la situation carcérale en exigeant pour les prisonniers l’égalité avec l’extérieur en matière d’accès aux soins et à la prévention. Malheureusement nous sommes loin du compte et aujourd’hui c’est le propre fils de la Ministre qui est en situation de grand danger, » martèle, acerbe, l’association, qui réclame tout de go « la libération immédiate du fils de Marisol Touraine avant qu’il ne soit en danger dans une institution qui ne respecte pas ses citoyens justiciables, en les mettant en permanence face aux contaminations sans leur permettre de s’en protéger. » L'ancienne ministre se serait sans doute bien passée de ce curieux soutien...
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