Des « miracles », la Dr Geneviève Darrieussecq l’avait prédit à son arrivée à Ségur en septembre, elle n’en ferait pas. L’histoire lui a donné raison. Le 23 décembre, l’allergologue centriste a dû céder les clés du ministère de la Santé à son confrère, le Dr Yannick Neuder.
Au sein du gouvernement Bayrou, le cardiologue de 55 ans, député isérois de la Droite républicaine (DR, ex-LR), a endossé les habits de ministre chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, sous la tutelle de Catherine Vautrin, qui a retrouvé une citadelle sociale (Travail, Santé, Solidarités, Familles). Lors de la passation de pouvoirs, ce proche de Laurent Wauquiez n’a, lui non plus, pas promis monts et merveilles. Il le sait : le temps risque aussi de lui manquer, contrairement aux urgences qui s’accumulent.
De fait, son poste paraît fragile et exposé : en deux ans et demi, Yannick Neuder, placé au 21e rang protocolaire, est devenu le septième locataire de Ségur (le neuvième des mandats Macron). En juillet, la dissolution de l’Assemblée a fragmenté comme jamais le paysage politique, exposant tout gouvernement à la censure, faute de majorité stable. Dans ce contexte, les miracles n’ont pas droit de cité.
Mayotte, « priorité absolue »
Le nouvel exécutif s’est installé dans un moment de crise nationale. Depuis le 14 décembre et le passage du cyclone dévastateur Chido, la vie s’est arrêtée à Mayotte : 39 morts et plus de 4 000 blessés étaient recensés à date, selon le bilan officiel. Le Premier ministre a annoncé sur place un plan de reconstruction de l’archipel, dont un important volet santé : mobilisation de la réserve sanitaire, parrainage de l’hôpital de Mayotte par les centres hospitaliers de l’Hexagone, ordonnance renouvelée en cas de perte de la prescription pendant le cyclone, sécurisation de la trésorerie de 300 soignants libéraux, droit à la prescription des médecins scolaires et des médecins de PMI, etc.
Le ministre de la Santé fait du dossier mahorais sa « priorité absolue ». Mais difficile pour lui, à ce stade, d’aller beaucoup plus loin dans la preuve de sa volonté. Reste que si les résultats rapides ne suivent pas sur le terrain, l’impatience cédera le pas à l’exaspération. Lundi dernier, en déplacement sur l’île dévastée, Marine Le Pen a estimé que son rôle était de « sonner la cloche » pour « rappeler les gouvernants aux promesses qui ont été faites ».
Quels arbitrages pour sauver la Sécu ?
Si l’urgence mahoraise prévaut, un autre dossier s’est imposé dès cette semaine dans l’agenda du tandem Vautrin-Neuder : la coconstruction du nouveau budget de la Sécurité sociale pour 2025. Si, grâce à la loi spéciale, les prestations restent bien versées et si la banque de la Sécu peut toujours emprunter, il est impératif pour le gouvernement de sortir rapidement de l’incertitude. En quête de « compromis politique », cinq ministres dont Catherine Vautrin, Yannick Neuder et Amélie de Montchalin (Comptes publics) ont entamé depuis mardi une série de rencontres avec les groupes parlementaires de l'Assemblée et du Sénat. Le gouvernement repartira de la copie votée avant la censure mais reste à savoir quelles seront les mesures ajoutées dans le domaine des économies et des recettes, dans un contexte de dérapage incontrôlé des comptes sociaux (18 milliards d’euros de déficit en 2024, 28 milliards cette année sans mesure nouvelle). Ondam (objectif de dépenses de santé), fiscalité comportementale, exonérations de cotisations, ticket modérateur, tour de vis sur les arrêts maladie ou le médicament : le parcours d’obstacles du PLFSS n’a pas disparu.
À Ségur, Yannick Neuder, fin connaisseur de la tuyauterie budgétaire de la Sécu, devra donc agir sous forte contrainte. Quelle sera sa marge pour soutenir les hôpitaux et le secteur médico-social, deux secteurs exsangues ? La constitution de la prochaine campagne tarifaire, attendue mi-mars, s’annonce comme un défi de taille. D’autant que tous les acteurs (établissements de santé mais aussi industriels et libéraux) réclament désormais une loi de programmation pluriannuelle, seul gage de visibilité à long terme.
Malgré l’urgence, le nouveau binôme bénéficie d’un accueil bienveillant du secteur. « Yannick Neuder a toute ma confiance, je suis certain de sa réussite car sa méthode de travail est basée sur la concertation, le bon sens et un arbitrage équilibré », veut croire Lamine Gharbi, à la tête de la Fédération de l’hospitalisation privée. « Partenaire exigeant », le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, salue la nomination du « duo de choc » Vautrin-Neuder mais réclame déjà un autre choc… de simplification et d’attractivité.
La santé, espace transpartisan ?
Faute de pouvoir imprimer immédiatement sa marque, Yannick Neuder a tenté, dans ses premières prises de parole, de satisfaire tout le monde – patients, soignants, élus – sans annonces précises. Le 31 décembre, le cardiologue s’était rendu à l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) pour apporter son soutien politique aux blouses blanches. Fidèle aux antiennes de la droite, il a parlé « temps de travail » (il est contre les 35 heures à l’hôpital), « conditions de travail » et « sécurité » comme autant de facteurs d’attractivité. Mais les dossiers en jachère ou sensibles se multiplient : sort des praticiens à diplôme étranger (Padhue), grève des internes à la fin du mois (lire ci-contre), relance des chantiers hospitaliers (carrières, ratios) sans oublier le défi des déserts médicaux, la loi infirmière, la sécurité des soignants, les engagements sur la pédiatrie ou encore la santé mentale, hier érigée par Michel Barnier en « grande cause nationale ». Le gouvernement se sait aussi attendu sur la reprise de la loi fin de vie, la réforme sensible de l’aide médicale d’État (AME), la lutte contre la financiarisation ou contre les pénuries de médicament.
Pour le tandem Vautrin-Neuder, une des pistes consiste à tenter de faire de la santé une thématique transpartisane. Habile, le ministre s’est déjà présenté comme le héraut d’une « action collective avec les parlementaires, quelle que soit leur couleur politique » sur tous les sujets de santé, qui ne sont « ni de droite, ni de gauche, mais de bon sens ». Du bon sens, il lui en faudra pour relever les défis qui s’imposent à lui. Faudra-t-il encore que les oppositions lui en laissent le temps.
« Deep Learning Amnésie Profonde », une pièce qui interroge sur le lien entre Alzheimer et nouvelles technologies
Dr Chloë Ballesté, université de Barcelone : « Dans les hôpitaux espagnols, le don et la greffe sont prioritaires »
Don d’organes : comment faire reculer l’opposition ?
3 questions au Dr Marc Cassone, médecin urgentiste pour MSF