L'État, du moins dans nos démocraties libérales, ne serait plus un monstre froid. Pour la première fois, avec la pandémie Covid-19, la vie, quel qu'en soit le coût, a été préférée au marché. Fallait-il parler de révolution ? En tout état de cause, cette préférence donnée à l'être ne sort pas du néant. Dans un livre stimulant qui vient de paraître (1), Un prix à la vie, Ariel Colonomos oppose l'État patriarcal à l'État philanthrope. « Dans le patriarcalisme, l'État paie avec des vies en vue d'un intérêt, dans le philanthropisme, on paie pour des vies. » Diable ! pour apprécier le virage, rappelons-nous cette aimable leçon économique dressée par le baron Charles Dupin en 1827 où en français dans le texte : « Un homme vaut un âne tandis qu'un cheval vaut sept hommes. » La même année, la première ligne de chemin de fer est inaugurée en France. Le convoi destiné au transport de marchandise était, il est vrai, tracté par des chevaux… Déjà, il aurait été légitime de s'interroger sur la valeur à long terme des calculs économiques.
Deux siècles plus tard, comment établir le prix d'un traitement ? l'État philanthrope est-il prêt à payer sans sourciller deux millions de dollars pour sauver la vie d'un enfant atteint par l'amyotrophie spinale ? Le coût des traitements explose dans les maladies rares. Les thérapies géniques, longtemps promises, entrent dans l'arsenal thérapeutique. Et sont en voie de banalisation quitte à provoquer des sueurs froides au sein des systèmes de protection sociale. Au-delà des négociations serrées entre industriels et autorités réglementaires, la pandémie Covid-19 et les maladies rares traduisent une tendance de fond, l'inexorable augmentation des budgets consacrés à la santé. Ce que Jacques Attali appelle l'Économie de la vie (2). « Les nations et les ménages devront être préparés à consacrer une part plus importante de leur revenu à leur santé. Sans la considérer comme une charge, mais au contraire en la reconnaissant comme une création de richesses. »
À condition de ne pas envisager de nouvelle révolution scientifique. Le coût du décryptage du génome humain s'est effondré en moins de dix ans de 2,7 milliards de dollars à moins de 1 000 dollars. Quoi qu'en penserait le Baron Dupin, il paraît au final moins risqué d'investir sur l'homme que sur le cheval.
(1) Un prix à la vie, Ariel Colonomos, éditions PUF, 382 pp., 21 euros.
(2) L'économie de la vie, Jacques Attali, éditions Fayard, 240 pp., 18 euros.
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