Après plus de 100 heures d’audition, la commission d’enquête du Sénat sur la crise du Covid-19 rendait ce jeudi son rapport. « L’ambition de cette commission d’enquête n’est pas de réécrire l’histoire, ni d’écrire le passé à la lumière des connaissances du présent avec le risque d’être démenti par l’avenir », a introduit son président, le sénateur LR Alain Milon. Mais comme l’avait fait le rapport final de la commission d’enquête de l’Assemblée la semaine dernière, les sénateurs portent le constat « d’une réaction tardive des responsables politiques et d’une impréparation manifeste du système de soins à l’endiguement de l’épidémie », a expliqué Sylvie Vermillet, l’une des trois rapporteurs de la commission.
Des alertes non entendues
Les pouvoirs publics ont-ils été pris de court par l’épidémie au point de devoir le 17 mars annoncer un confinement généralisé ? Le rappel de l’enchaînement des évènements et actions, tracé par la commission d’enquête, relate une « réaction précoce » du ministère de la Santé et une « veille activée tôt », mais qui finalement dans la décision publique se sont traduites par un « séquençage peu adéquat » et une « lenteur dans les transmissions d’information ». En effet, le récit des évènements réhabilite le rôle et l’action d’Agnès Buzyn, alors encore ministre de la Santé, mais montre tout à la fois qu’à l’époque « ces avertissements ne rencontrent aucun écho », souligne Sylvie Vermillet, que ce soit au niveau national ou international. « Elle a eu la connaissance que quelque chose se passait, mais elle a été seule sur beaucoup de points », ajoute Catherine Deroche, également rapporteure de la commission.
Une pénurie imputée à la decision du DGS
Mais le gros du rapport du Sénat porte sur la question des masques et leur pénurie car, c’est « le symbole de l’état d’impréparation du pays », note Catherine Deroche. Et sur ce sujet, la commission d’enquête pointe directement la responsabilité du directeur général de la Santé (DGS), Jérôme Salomon. En effet elle impute « directement cette pénurie à la décision, prise en 2018 par le directeur général de la santé de ne pas renouveler le stock de masques chirurgicaux », même si, souligne-t-elle, « elle est également la conséquence de choix antérieurs, tout au long des années 2010 ». Avec 754 millions d’unités fin 2017, le stock n’est plus que de 100 millions fin 2019. Une nouvelle norme en 2014 rend caduque une grande partie du stock. Sur les 100 millions conformes restants en octobre 2018, 63 millions doivent périmer fin 2019. « Informé de la situation des stocks en 2018, le DGS a pourtant choisi de ne pas les reconstituer, sans en informer la ministre », détaille le rapport. Le numéro 2 du ministère ne va ordonner l’achat que de « seulement » 50 millions de masques.
Dissimulation et minimisation
La commission d’enquête accuse également le DGS d’avoir tenté de minimiser sa faute en essayant de faire « modifier a posteriori les conclusions d'un rapport d’experts » qui préconisait la constitution d'un « stock élevé, probablement d'environ un milliard de masques chirurgicaux ». « L'analyse de courriels échangés entre la direction générale de la santé et Santé publique France atteste d'une pression directe de M. Salomon sur l'agence afin qu'elle modifie la formulation des recommandations de ce rapport », pour « faire disparaître la référence à la taille du stock », assure la commission. « C’est un dysfonctionnement grave des pouvoirs publics de notre pays », a commenté le troisième rapporteur Bernard Jomier lors de la conférence de presse.
Cette décision a été suivie de sa tentative de modifier le rapport Stahl, un rapport d'experts qui contredisait ce choix. C'est un acte grave, inédit, qui n'a pas été spontanément rapporté à la Commission #CECOVID19 mais découvert en application de nos prérogatives.
— Bernard Jomier (@BernardJomier) December 10, 2020
Le rapport Stahl apparaît avoir été corrompu au sens étymologique du terme, et il est avéré par un écrit que la Commission d'enquête publie dans son rapport, qu'au mois de mars 2020, le #gouvernement a délibérément menti sur l'état de la pénurie #Castex18h
— Bernard Jomier (@BernardJomier) December 10, 2020
Les sénateurs montrent aussi dans leur rapport que les pouvoirs publics dans leur communication ont sciemment tenté de minimiser cette pénurie alors qu’ils en avaient connaissance depuis le début de l’épidémie. « Plusieurs responsables ont nié toute pénurie d'équipements de protection individuelle y compris pour les soignants. Pourtant, des documents étudiés par la commission d’enquête attestent que cette situation était connue du Gouvernement depuis – au moins – le 13 mars 2020, contrastant avec un discours exagérément optimiste, en décalage avec le ressenti des acteurs de terrain », détaille le rapport.
Une gestion trop hospitalo-centrée
Outre la question des masques, le Sénat pointe aussi une gestion hospitalo-centrée de la crise. « Alors qu’il savait que la nature de l’épidémie allait mobiliser aussi la médecine de ville on peut se questionner sur la décision d’un ministre qui a choisi délibérément de concentrer les moyens et notamment les EPI sur la seule filière hospitalière, souligne Sylvie Vermillet. C’est de ce choix qu’a découlé l’embolisation de nos hôpitaux et par conséquent le confinement ». Le rapport met également en avant une gouvernance territoriale mal adaptée avec des ARS trop éloignées du terrain ou des collectivités territoriales pas suffisamment associées aux décisions. Il revient aussi sur l’échec de la stratégie de tests avec un retard à l’allumage et sur le bilan mitigé du traçage et de l’isolement. Parmi ses recommandations, la commission d’enquête préconise notamment la création d'un conseil d'expertise scientifique indépendant et permanent pour conseiller les pouvoirs publics en cas de nouvelles crises.
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