Comment vous sentez-vous depuis votre retour en France ?
Dr Valérie Duthil : Je dirais groggy et décalée. Ce séjour a été physiquement et émotionnellement très dur. J’occupais un poste vacant au sein d'un service de médecine transformé en unité Covid dans un petit hôpital de Marie-Galante. J'étais le seul médecin du service et le seul renfort venu d’Hexagone à Marie-Galante. Pendant dix jours, nous avons travaillé non-stop avec les équipes sur place. Ça paraît difficile de s’arrêter lorsqu’on voit le service en très grande difficulté avec des infirmières qui le tiennent à bout de bras. C'était physiquement très dur. Mais le plus lourd pour moi a été l'impact émotionnel. Je savais que la situation allait être très difficile mais pas à ce point-là. J’ai pris une vraie claque. C’était dur de rentrer seule dans son hôtel après des journées aussi difficiles. Heureusement j’ai pu communiquer avec mes proches et avec un groupe d’amis médecins. C’est vraiment grâce à eux que j’ai tenu. Ce soutien a été essentiel pour faire face aux situations de détresses que je rencontrais chez mes patients.
Quelle était la situation à Marie Galante ?
Dr V. D. : La situation s’est dégradée rapidement pendant mon séjour. Nous savions déjà que le variant Delta ne touchait plus seulement les populations âgées et fragiles mais aussi des populations plus jeunes et en bonne santé. Mais y être confrontée et le vivre, c’est autre chose. L’hôpital dans lequel j’exercais ne disposait pas de service de réanimation. Tous les jours je prenais en charge des patients que j’aurais, en temps normal, dû transférer en service de réanimation. Au fur et à mesure du séjour, les critères d’âge d’admissions en réanimation ont baissé de manière drastique et dramatique. Le premier jour une réanimatrice m’a indiqué l’âge pallier de 60 ans pour qu’un patient puisse être héliporté en réanimation au CHU de Pointe-à-Pitre. Quelques jours après, j’ai voulu y envoyer un patient de 55 ans dans un état très critique. J’avais dit à sa femme qu’il allait pouvoir être transféré sans trop me poser de questions. Finalement, la réanimatrice que j'ai eue au téléphone m’a dit qu’au vu du dossier médical de mon patient (HTA + diabète), il n’allait pas pouvoir être pris en charge. Beaucoup de patients âgés de plus de 55 ans ont par la suite été récusés pour la réanimation.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées au sein de votre service de médecine ?
Dr V. D. : Outre l’afflux et les énormes difficultés d’admissions en réanimation nous avons rencontré de nombreuses difficultés d’ordre matériel notamment des tensions sur l’approvisionnement en oxygène. Nous avons vu des patients arriver dans notre service déjà oxygénodépendants à 3-4 litres. À ce stade, ils étaient encore conscients donc nous pouvions encore discuter avec eux, avoir un contact humain. La décompensation se faisait en général quelques jours après leur admission. Quand vous avez noué des liens avec des patients, que vous avez discuté avec eux, que vous voyiez leur état se dégrader au point d’étouffer, c’est d’autant plus dur. J’étais venue pour soigner mais rapidement j'ai compris que j’allais devoir en aider certains à partir. Les premiers jours, c’était des gens d’un certain âge mais comme je vous le disais, au fur et à mesure, la moyenne d’âge a baissé de manière considérable. Je me suis vite vue propulsée face à une réalité difficile à accepter : aider des gens à partir alors qu’ils auraient, en temps normal, des chances de survivre.
Photo prise par Dr Valérie Duthil sur place. « La photo n’est pas glamour mais elle a été prise là bas en condition réelle, les yeux bouffis d’avoir pleuré la nuit de révolte et d’impuissance face à l’inacceptable… De retour dans la réalité d’ici, je ne veux pas oublier ce que j’ai vécu là-bas! »
Vous avez donc dû avoir recours à la sédation profonde et continue ?
Dr V. D. : Oui. Je n’étais pas arrivée à Marie-Galante avec cette idée première. Malheureusement, dans de nombreux cas, le schéma est tellement reproductible que vous n’avez pas de doute sur le moment où vous le proposez. Lorsqu’un patient est récusé pour la réanimation, que ça fait 48 heures qu’il est en train de tirer sur son oxygène, que vous sentez qu’il s’épuise, qu’il désature, qu’il n'y arrive plus, il n'y a plus de doute sur le fait que c’est le moment. C’est une décision qui était systématiquement prise en décision avec les familles, en accord avec le patient et les autres soignants sur place. Bien heureusement nous avions les produits pour ce faire.
Estimez-vous que les moyens humains envoyés actuellement aux Antilles sont suffisants ?
Dr V. D. : Je ne suis pas sûre que ce soit possible d’envoyer des renforts suffisants. L’afflux a été tellement massif et soudain que quand bien même plus de renforts seraient envoyés, il y aurait aussi la question du manque de matériel, du manque de lits et l’absence de lieux pour les accueillir ! C’est extrêmement compliqué et difficile à compenser. La deuxième vague de renfort médical est arrivée avec de quoi créer des lits mais quand vous avez 50 personnes à l’entrée d'un service de réanimation et que vous avez deux places, c’est impossible d'en créer 48 en claquant des doigts !
Aucun des patients hospitalisés dans mon service n’avait été vacciné, pas même une dose
Quel message souhaiteriez-vous faire passer ?
Dr V. D. : Je ne partirai pas en guerre avec les quelques patients qui ne veulent pas se faire vacciner. Il s’agit de leur choix et de leur libre choix. Mais tout le monde doit avoir un moment donné eu vent de ce qu’il se passe, avoir eu l’information. J’étais déjà convaincue par la vaccination avant de partir, je suis coordinatrice du centre de vaccination d’Oléron. Cette mission a terriblement renforcé mes convictions. Aucun des patients hospitalisés dans mon service n’avait été vacciné, pas même une dose. C’est déchirant de se dire que ces hospitalisations auraient pu être évitées. Bien que tous les patients que nous gardions à l’hôpital étaient oxygénodépendants, j’ai eu la chance de discuter avec plusieurs d’entre eux. Parmi eux, il y avait des gens très anxieux par rapport à la vaccination, ayant même parfois plus peur du vaccin que du Covid au moment même où la maladie les atteignait sévèrement. D’autres patients m’ont confié regretter de ne pas l’avoir fait, m'ont dit qu’ils le feraient dès leur sortie. Malheureusement, certains n’auront pas cette chance.
Selon Santé publique France, au 26 août, 19 médecins généralistes étaient mobilisés en Outre-mer dont neuf aux Antilles. 12 d'entre eux renforcaient les centres hospitaliers en Guadeloupe (8), Martinique (1) et à la Réunion (3). Sept autres participaient à la campagne de vaccination à Mayotte.
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