Des enjeux politiques
Outre la date d’expiration des brevets des produits biologiques, la croissance de ce marché dépend de l’évolution de la réglementation nationale, en particulier sur les notions de substitution et d’interchangeabilité. Un préalable incontournable pour que ces médicaments soient acceptés par des professionnels de santé peu enclins, a priori, à abandonner les princeps. Or, si le niveau d’investissement requis en termes de développement et de fabrication est balisé, le degré d’acceptation de ces produits par les autorités, les médecins et les patients est encore balbutiant. Dès lors se posent les questions des leviers de croissance de ce marché et des conditions de son développement.
Biosimilaires : je t’aime, moi non plus
Les médicaments biosimilaires constituent une voie d’avenir pour la pharmacie. Outre les avantages qu’ils présenteraient pour la santé publique, comme la plupart des médicaments issus des biotechnologies, ils permettraient de réaliser des économies, à l’instar de leurs cousins génériques. À condition qu’ils puissent bénéficier de la reconnaissance à laquelle ils aspirent et que le marché puisse se développer. Or c’est là que le bât blesse, puisqu’en France, les biosimilaires pâtissent d’un sous-développement. La raison ? Les cadres réglementaires et législatifs ne seraient toujours pas favorables au déploiement de ces produits qui disposent d’une efficacité et d’une sécurité équivalentes au médicament de référence. En clair, ces médicaments qui ont des propriétés physico-chimiques et biologiques similaires, la même substance pharmaceutique et la même forme pharmaceutique que le médicament de référence ne réussissent pas à s’implanter. Un comble, deux ans après que le Parlement a voté un article de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour favoriser leur développement. Une situation qui, toutefois, ne surprend pas Corinne Blachier-Poisson, coprésidente du groupe de travail relatif au développement des biosimilaires au sein du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), puisque cet « article 47 de la LFSS 2014 a été voté sans aucune concertation et ne constitue en aucun cas une réponse satisfaisante ».
Milieu contraint
Un avis partagé par Patrick Tilleul, chef de service de pharmacie à usage intérieur (PUI) (AP-HP). « Nombre d’acheteurs pharmaciens hospitaliers ont été "refroidis" par ce texte qui recommande la substitution en créant une liste de références des groupes biologiques similaires, mais interdit l’interchangeabilité avec tout traitement initié par un médicament biologique », regrette-il. En clair, la substitution ne pourrait être envisagée pour un patient déjà traité que dans le cadre d’un bénéfice thérapeutique pour le patient. Or les médicaments étant toujours soumis à un essai de non-infériorité, l’hypothèse d’implanter une politique destinée à passer d’un médicament à l’autre serait donc a priori nulle. D’autant que « les achats hospitaliers correspondent à un milieu contraint avec des contraintes réglementaires très fortes », ajoute Jean-François Husson, pharmacien coordonnateur du GCS Achats du centre, qui regroupe 42 établissements de santé. Dès lors, pour faire partie de la politique du médicament qui est définie par les comités médicaux d’établissement (CME), « outre leur intérêt économique, les biosimilaires devraient pouvoir démontrer qu’ils contribuent à la sécurisation du circuit du médicament ». Une exigence qui, « jusqu’en 2012, a laissé perplexes les professionnels de santé de la région Centre », précise encore Jean-François Husson. D’autant que le rapport de l’ANSM sur les biosimilaires, paru en 2013, est venu déconseiller la substitution et l’interchangeabilité.
Comité satellite dédié
Une situation d’autant moins surprenante que les décrets d’application de l’article 47 de la LFSS, qui auraient pu préciser le flou du texte, ne sont toujours pas parus. Le moment semblait pourtant opportun, puisqu’« après une phase passionnelle, le débat sur les biosimilaires est aujourd’hui entré dans un cycle plus serein », explique encore Corinne Blachier-Poisson. En clair, il serait temps désormais de poser la question des moyens à mettre en œuvre pour instaurer un climat de confiance dans ces produits et développer ce marché.
Car, à l’instar de ce qui s’est passé pour les génériques, « sans incitation pour les professionnels de santé, il y a peu de chance de voir ce marché progresser ». Et pour les patients, il est indispensable de démontrer le bénéfice collectif de ces produits. Pas question, en revanche, de mettre en place une politique calquée sur celle des génériques, estime le Pr Claude le Pen, professeur de sciences économiques à l’Université Paris Dauphine. Et d’expliquer : « Ne pas tenir compte de l’avis des consommateurs et des prescripteurs et ne mettre en avant que le seul intérêt économique, constituerait autant d’erreurs qui pourraient être fatales au développement des biosimilaires. »
En raison, en particulier, des questions inhérentes à ces médicaments. Ces questions ont d’ailleurs « incité l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à créer un comité satellite dédié aux biosimilaires, à côté du comité en charge du médicament, existant dans tout établissement », explique le Pr Patrick Tilleul. L’objectif ? Analyser avec un groupe d’experts concernés, les moyens nécessaires pour mettre à disposition des patients et dans leur intérêt un seul traitement. « Proposer aux nouveaux patients un traitement biosimilaire alors que les patients historiques n’en n’auraient pas reviendrait en effet à envisager, au sein des pharmacies, la cohabitation de deux produits ayant une appellation voisine et utilisés dans les mêmes indications avec un risque iatrogène évident », précise encore le pharmacien hospitalier.
Manque de clarté
D’où la nécessité de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour organiser cette transition. En clair, mettre à disposition du patient un produit sécurisé disposant des mêmes indications et présentant les mêmes garanties tant sur le produit lui-même, que sur le suivi rapproché des patients traités. Car un risque sérieux sur la biodisponibilté et sur les effets indésirables de chacun de ces produits existe. Il est donc essentiel de faire une déclaration d’anticorps avant et après ; quand bien même le taux de croisement immunitaire entre princeps et générique serait de l’ordre de 99 %. Afin de limiter le risque lié à l’immunogénicité entre princeps et générique, il faudrait ainsi disposer d’une véritable traçabilité avant d’envisager tout changement de ligne de traitement entre princeps et biosimilaire.
Des garanties que le législateur n’a pas su apporter. Bien au contraire ! Selon le Gemme, qui regroupe l’ensemble des laboratoires pharmaceutiques produisant et commercialisant des biosimilaires en France, le contexte est aujourd’hui d’une rare complexité et surtout peu favorable au déploiement de ce nouveau marché. Frédéric Girard, président de Sandoz France et vice-président du Gemme, chargé des affaires médicales de l’hôpital et des biosimilaires, considère en effet que « loin de structurer le marché, les décisions prises récemment ont plutôt tendance à introduire le trouble ». Autant de mesures qui empêcheraient la France de devenir un véritable pôle d’expertise en termes de recherche et développement et de production.
Et d’illustrer ses propos par trois exemples. « Bien qu’aucune restriction scientifique ou médicale ne le légitime, sur les conseils de l’ANSM, la loi française interdit ainsi l’interchangibilité qui permet à un médecin de changer le traitement de son patient du médicament biologique de référence vers le biosimilaire et vice-versa ». De même, la substitution qui permet à un pharmacien de changer un médicament princeps au profit de sa copie pose-t-elle problème, puisqu’elle est limitée aux seuls génériques. La pression exercée sur les prix des biosimilaires, enfin, constituerait un réel frein à leur développement en France et nuirait même à l’attractivité du marché hexagonal.
Informer les professionnels de santé
Trois points qui posent problème et incitent les industriels, à l’instar des laboratoires Lilly et Boehringer-Ingelheim, à informer le plus précisément possible les acteurs de santé concernés, tant en ville qu’à l’hôpital. Les diabétologues, prescripteurs de l’insuline commercialisée par ces deux industriels, tout comme les pharmaciens hospitaliers, bénéficient ainsi d’une information très complète afin de les convaincre de l’intérêt des médicaments biosimilaires et de les rassurer sur la qualité des produits commercialisés. « Une démarche essentielle pour des professionnels de santé qui sont avant tout préoccupés par la sécurité des patients », explique Laurent Doucet, directeur de la BU diabète du laboratoire Lilly.
Mais le laboratoire n’entend pas s’arrêter là. La dispensation en ville de ces produits va naturellement le conduire à s’adresser aussi aux « médecins généralistes et aux pharmaciens d’officine en leur présentant les résultats des études de phase III et donc en leur démontrant l’efficacité et la tolérance de ces médicaments biosimilaires ». Une démarche d’autant mieux acceptée, selon Laurent Doucet, que le laboratoire concerné est reconnu comme un acteur fiable doté d’une réelle expertise dans les biotechnologies.
Pas question pour autant de négliger l’aspect économique. « À l’heure où la pression financière est de plus en plus forte, les économies que permettront de réaliser ces médicaments biosimilaires représentent une source d’intérêt supplémentaire, en particulier pour les pharmaciens hospitaliers qui sont de plus en plus soucieux des questions budgétaires », précise Laurent Doucet.
Un cadre à préciser
Un argument qui devrait également inciter les uns et les autres à se donner les moyens de développer les médicaments biosimilaires. Et donc à créer les conditions favorables à leur implantation. Comment ? « En suscitant une véritable confiance auprès des patients et des professionnels de santé en créant un cadre réglementaire clair qui permette l’interchangeabilité et ne fasse pas allusion à la substitution », explique encore le vice-président du Gemme.
À charge donc pour le législateur de définir clairement le rôle de chacun des acteurs : le médecin, le pharmacien… avec des incitations positives pour chacun d’eux. Quant aux payeurs, et en particulier la Cnamts, « il lui faudra communiquer pour convaincre chacune des parties concernées de la qualité et de l’intérêt de ces produits », ajoute encore le président de Sandoz France.
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