LE QUOTIDIEN : Vous êtes rentré de Mayotte il y a moins d’une semaine. Comment allez-vous ?
Dr Pierrick Eyral : Honnêtement tout va bien. Il y a forcément un peu de fatigue car, durant ces neuf jours, nous avons pris en charge de nombreux patients, avec une amplitude horaire importante. L’équipe était composée de 15 sapeurs-pompiers et de deux médecins, dont moi. Le soir, il fallait nettoyer méticuleusement le dispensaire, tout remettre au propre. C’était de longues journées et de courtes nuits. Le retour a aussi été assez fatigant puisqu’il a fallu prendre plusieurs avions… Je suis rentré mardi dernier et j’ai repris le travail jeudi donc j’ai enchaîné rapidement. Mais tout va très bien.
Quelles ont été vos motivations pour partir à Mayotte ?
Je suis médecin urgentiste, avec une formation en médecine de catastrophe. Quand le cyclone a frappé Mayotte mi-décembre, j’ai eu envie d’aller aider, de me rendre utile auprès de personnes qui en ont besoin et qui ont tout perdu. Arrivé là-bas, on découvre une situation qui est encore très différente de ce que l’on peut voir dans les médias.
Pouvez-vous nous décrire la situation sur place ?
J'étais à Dembeni, une ville située à une demi-heure au sud de Mamoudzou. Elle a été touchée par le cyclone, mais pas aussi gravement que certaines zones au nord de l'île, où je ne suis pas allé. Dans cette ville, nous avons vu des patients qui venaient au dispensaire pour des blessures liées au cyclone : plaies infectées par la tôle qui s’est envolée, conjonctivites infectieuses, impétigos, bronchiolites…
La situation sanitaire est surtout aggravée par des conditions d'hygiène déplorables, en raison d'un accès limité à l'eau potable et à l'électricité. Dans les bidonvilles, les problèmes d'hygiène préexistaient avant le cyclone mais ils se sont amplifiés. Les habitants ont souvent peur d’aller à l’hôpital ou d’être pris en charge car ils sont en situation irrégulière et craignent d'être recensées à l'hôpital. Globalement, c’était de la médecine humanitaire, pas de la médecine de catastrophe. Nous avons essentiellement fait de l’accès aux soins primaires même si, dans les bidonvilles, la situation était particulièrement précaire.
“Nous avons souvent manqué de médicaments ou de matériel”
Avez-vous rencontré des difficultés particulières pour soigner les patients ?
Oui plusieurs ! La première difficulté a été d’ordre logistique : nous sommes partis de Paris pour rejoindre La Réunion, puis nous avons pris un pont aérien jusqu’à Mayotte. Nous avions prévu d’amener neuf caisses de médicaments fournis gratuitement par l’association Tulipe. Mais à cause des restrictions de bagages, nous avons dû partir avec seulement une caisse et demie. Heureusement, nous avons pu en mettre un peu dans nos bagages personnels.
Ensuite, sur place, certains médicaments étaient en rupture de stock et nous n’avions pas tout ce dont nous avions besoin. Nous avons dû adapter nos prescriptions, notamment d’antibiotiques, grâce à l’aide des pharmaciens locaux et du Samu, qui nous ont fourni des protocoles en cas de pénurie.
En ce qui concerne la prise en charge des plaies infectées, c’était particulièrement compliqué à cause du manque d’eau. On savait très bien que la plupart des habitants n’allaient pas pouvoir se soigner convenablement au vu des conditions sanitaires. Dans les bidonvilles, c’était encore plus compliqué. Beaucoup de patients n’ont pas de couverture sociale donc on essayait au maximum de les soigner sur place car on savait très bien qu’ils n’iraient pas en pharmacie par la suite. Nous avons essayé de traiter les urgences avec les moyens disponibles, mais nous avons souvent manqué de médicaments ou de matériel.
Avez-vous des exemples de situations marquantes ?
Oui, je me souviens d'un jeune de 17 ans, diabétique, qui n'avait pas pu contrôler sa glycémie depuis 10 jours, faute d'électricité pour recharger son capteur. Il n'avait plus d'insuline non plus car plus de frigo alimenté. Nous avons dû refaire toutes ses ordonnances. Une fois que la pharmacie a été réapprovisionnée, il a pu récupérer son traitement.
Un autre cas marquant : une petite fille – sans couverture sociale – avec une plaie infectée profonde, qui portait un pansement laissé en place depuis quatre jours faute de suivi. Nous avons refait son pansement et organisé un suivi régulier, mais cela a demandé beaucoup d'efforts logistiques et de matériel. Heureusement, pour les cas les plus graves, nous avons pu les envoyer à l’hôpital de campagne à Mamoudzou qui offre des soins gratuits. Mais la circulation était très compliquée entre les deux villes.
“Ce qui manque, c’est une meilleure communication entre tous les partenaires sur place, notamment avec les institutions”
Quelles améliorations pourraient être apportées à vos yeux ?
Je ne connaissais pas bien l’île de Mayotte, ni sa situation géopolitique. En revanche, la gestion de crise m’a semblé extrêmement compliquée. Ces crises sont très aiguës au départ mais elles s’installent ensuite dans la durée. Ce qui manque, c’est une meilleure communication entre tous les partenaires sur place, notamment avec les institutions.
Nous avons souvent dû trouver nos missions par nous-mêmes, grâce à la municipalité ou en collaboration avec la gendarmerie nationale en charge de distribuer de l’eau potable. Le rôle de la gendarmerie a été essentiel pour accéder aux villages isolés. Pour améliorer la situation, il faudrait structurer ces collaborations dès le départ et mieux anticiper la gestion des crises dans la durée.
*Quatre associations ont piloté cette mission humanitaire. Le GIS France (Groupement d’intervention et de secours), le Pica (Pompier international des Côtes-d'Armor), le Fausi (France aide urgence secours international) et le PHF (Pompiers humanitaires français).
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