Le Généraliste. À l’issue de la concertation organisée avec les médecins, le projet de loi santé sera-t-il largement remanié ? Et sur quels points ?
Marisol Touraine. Les débats des dernières semaines ont pu occulter l’objectif et la cohérence globale de la loi. Notre système de santé est confronté aujourd’hui à des défis majeurs qui lui imposent de se transformer, de se moderniser. Tout le monde partage ce constat, notamment les professionnels de santé. Pour y répondre, le projet de loi renforce la prévention pour lutter contre les inégalités de santé, recentre le système de santé autour du médecin traitant pour fluidifier le parcours des patients et fait progresser les droits des patients. Ces orientations sont, là encore, très largement partagées.
Au cours des derniers mois, des professionnels de santé ont exprimé des inquiétudes. Des critiques se sont concentrées sur des dispositions bien précises de la loi, sur un texte qui compte près de soixante articles. Nombre de ces inquiétudes dépassent largement le projet de loi et renvoient à des interrogations plus profondes sur l’avenir du métier de médecin et sa place dans la société. J’entends les professionnels et je veux d’abord dire que rien dans la loi ne remet en cause les grands principes de la liberté d’installation et le libre choix du médecin par son patient, que rien ne permet les réseaux de soins à la main des complémentaires.
J’ai ouvert une nouvelle phase de concertation avec les professionnels pour réécrire les dispositions contestées avec eux. Ainsi, sur leur proposition, j’ai remplacé le terme de « service territorial de santé au public » par celui de « communautés professionnelles territoriales de santé » pour mieux traduire l’initiative des professionnels dans l’élaboration des projets médicaux qui se mettent en place localement. Je vais réinscrire dans la loi que le service public hospitalier, dont la spécificité est réaffirmée, n’a aucun impact sur les autorisations d’activités de soins. La vaccination par les pharmaciens fera d’abord l’objet d’une expérimentation. En ce qui concerne le tiers payant, j’entends les craintes : des garanties seront inscrites dans la loi et il sera étendu progressivement. Enfin, pour répondre aux interrogations plus larges des professionnels, j’ai proposé au Premier ministre d’organiser une grande conférence sur la santé, ce qu’il a accepté : elle sera animée par des personnalités reconnues et permettra de dégager des pistes de modernisation partagées du métier de médecin et du mode d’exercice médical.
Concernant le tiers payant, vous évoquez un « droit » pour les patients. Les médecins seront-ils sanctionnés s’ils refusent de le pratiquer ?
M.T. Le tiers payant sera un droit pour tous les Français. Ce sera d’abord un droit pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS) qui en bénéficieront à partir du 1er juillet prochain. Puis, dès le 1er juillet 2016, les médecins pourront pratiquer le tiers payant avec leurs patients couverts à 100% par l’Assurance Maladie, ceux qui vont le plus souvent chez le médecin. En 2017, le tiers payant sera bien étendu à tous les Français.
À chaque étape, nous nous donnerons quelques mois de rodage, de montée en charge progressive, pour que les médecins s'approprient le dispositif. La loi introduira une garantie de paiement. Le tiers payant ne doit pas entraîner une charge de travail supplémentaire pour les professionnels. Leur rôle est de soigner, pas d’effectuer des tâches administratives. Si, au bout de sept jours, les médecins ne sont pas payés, l'Assurance Maladie versera des pénalités de retard. Le tiers payant doit être fiable à 100% et je suis sûre qu’il apparaîtra rapidement comme une évidence.
Vous garantissez aux médecins qu’un seul geste suffira pour pratiquer le tiers payant ? Comment faire, alors même qu’il n’est pas question de flux unique pour tous les payeurs ?
M.T. Le tiers payant, ce sera un seul geste pour les médecins. Le dispositif sera rapide, fiable et simple, pour les professionnels de santé comme pour les patients. L’Assurance Maladie apportera des garanties et je demanderai aux organismes complémentaires d’apporter les mêmes garanties. Les professionnels de santé pourront ainsi faire bénéficier tous leurs patients de la dispense d’avance de frais, puisque les conditions de simplicité et de fiabilité seront réunies. Ce qui compte pour les médecins, c’est que ce soit simple, ils n’ont pas à se préoccuper des contraintes techniques. Ça, c’est le problème de l’Assurance Maladie et des complémentaires, qui doivent s’engager et apporter des garanties. Je leur ai demandé de me présenter leur solution en octobre de cette année.
Vous avez annoncé récemment la généralisation des nouveaux modes de rémunération dans les MSP. Qu’en sera-t-il pour les autres libéraux sur lesquels repose votre « virage ambulatoire »??
M.T. Je dis souvent que le travail d’équipe c’est « gagnant-gagnant » : une amélioration de l’organisation pour les professionnels de santé, un gain immédiat pour les patients, une meilleure attractivité de l’exercice libéral pour les jeunes générations. La rémunération du travail en équipe est une étape importante, qui a été franchie le 27 février dernier avec la pérennisation et la généralisation de la rémunération des équipes au sein des pôles, maisons et centres de santé. Les syndicats, notamment de médecins, ont salué cette étape. Cependant, le travail en équipe ne se limite pas à un exercice au sein de structures regroupées. Il s’organise ponctuellement, autour d’un patient, par exemple à l’occasion d’une sortie d’hospitalisation ou d’une prise en charge sur le long terme pour les patients chroniques. L’adaptation de la rémunération à cette prise en charge coordonnée est un chantier conventionnel à approfondir.
Vous avez prévu d’insérer un chapitre spécifique aux soins primaires dans votre loi. Que contiendra-t-il ?
M.T. En effet, un nouveau chapitre sera intégré au projet de loi de santé pour reconnaître davantage la place des soins primaires et du médecin traitant dans l’organisation territoriale des soins. Je l’ai dit : ils deviennent le centre de gravité du système de santé, il faut l’écrire clairement, j’ai intégré cette demande. Ainsi, l’article qui crée les communautés professionnelles territoriales de santé sera inséré dans ce chapitre puisque ces communautés regrouperont des équipes de soins primaires qui pourront être constituées en maison de santé et intégreront les spécialistes, les acteurs sociaux et médico-sociaux… Nous allons y intégrer les outils proposés par la loi, comme les plateformes territoriales d’appui qui seront à la main des professionnels. La mesure qui crée le statut de médecin traitant pour l’enfant aura également toute sa place dans ce chapitre, comme la création d’un numéro d’appel national de garde.
J’ai entendu l’inquiétude d’une étatisation du système de santé, les doutes des professionnels sur leur place dans le système de santé. J’ai voulu y répondre de manière pragmatique et méthodique, en associant les professionnels à cette démarche.
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes