Médecin traitant, es-tu là ? Quand on parle du « 51 », comme disent les initiés, ce n’est clairement pas le cas. Alors que le budget de la Sécurité sociale pour 2025 subit les affres de l’instabilité gouvernementale, c’est un article de son pendant pour 2018 qui infuse pas à pas sur le terrain.
À l’hôpital, dans le secteur médico-social, en ville, les initiatives qui entrent dans le champ de l’article 51 suscitent un intérêt croissant de la communauté soignante. Derrière cet intitulé abscons se nichent des projets à caractère expérimental, portés par des équipes impliquées dans la construction de parcours de soins innovants. Dérogatoire, le financement est pensé pour l’essentiel au forfait et non plus à l’acte. L’objectif est de tester sur plusieurs années, et à l’échelle d’un territoire, des prises en charge originales sur des sujets et pathologies variés (encadré) avant, le cas échéant, de généraliser les expérimentations prometteuses et, objectif ultime, de les habiliter en parcours coordonnés renforcés (PCR).
L’Assurance-maladie, à la manœuvre, a entamé cette bascule dans le droit commun l’année dernière en commençant par un parcours pour les enfants obèses issu de l’expérimentation « Mission : retrouve ton cap » et par un accompagnement renforcé à domicile des personnes âgées en perte d’autonomie inspiré de deux dispositifs franciliens.
Évaluation serrée
Depuis le lancement de l’article 51, les autorités sanitaires n’ont ainsi transposé dans le droit commun que deux parcours sur plus de 1 200 projets. C’est très peu et en même temps encourageant car la force de l’article 51 réside justement dans sa féroce évaluation, qui permet de faire entrer des carrés dans des ronds.
Mais c’est aussi le résultat d’un frein bien identifié par les soignants rencontrés lors de la Journée nationale des porteurs de projet, qui s’est tenue fin novembre à Nanterre : l’absence flagrante du généraliste, pourtant figure médicale la plus convoitée de l’écosystème du « 51 ». « Le médecin traitant est l’un des acteurs les plus difficiles à mobiliser sur l’article 51 », confirme Cécile Lambert. La rapporteure générale du dispositif au ministère de la Santé cite le projet Oncolink sur l’accompagnement des patients sous thérapies orales anti-cancéreuses. Le traitement est initié par les centres de cancérologie puis poursuivi en ville grâce à une coordination étroite avec les pharmaciens et les médecins traitants. Or, le taux d’engagement des officines est six fois plus élevé que celui des généralistes. « Ça interroge vraiment sur la bande passante des médecins et sur la saturation de leur temps », analyse Cécile Lambert.
Sentinelle de tout, temps de rien
Si le fait d’avoir un médecin traitant dans son projet n’est pas gage de succès à 100 %, en être dénué est un « risque d’échec très fréquent » à ne pas négliger, analyse la rapporteur générale. Car le médecin libéral, à plus fort raison généraliste - comme le médecin hospitalier - est celui qui a le pouvoir d’inclure des patients dans chaque projet innovant. Et ne pas avoir une cohorte suffisante peut faire capoter toute l’entreprise !
Le projet Iatroprev, dans l’attente de son évaluation pour continuer l’aventure, en a fait les frais. Ce dispositif testé dans le Nord et la Somme porte sur l’optimisation médicamenteuse et la réduction du risque iatrogène pour les patients de plus de 65 ans, qui intègrent le programme par deux portes d’entrée : l’hôpital et la ville. La première voie a « très bien fonctionné », la seconde « pas du tout », déplore le Pr Frédéric Bloch, chef du service de gériatrie du CHU Amiens-Picardie et pilote de ce projet. « La mission, les objectifs, le forfait soignant et les critères d’inclusion étaient les mêmes pour tous, narre-t-il. Sauf que le médecin traitant est sentinelle pour tout mais n’a de temps pour rien ». Un peu amer, le spécialiste, qui est allé jusqu’à distribuer « goodies et kits de communication » aux praticiens libéraux, pointe du doigt « l’ambivalence » de ces derniers, qui « veulent être coordinateurs mais sans en faire plus ». Beaucoup parce qu’ils ne le peuvent pas, certains, parce qu’ils ne le veulent pas. Nombre de porteurs le savent : si les libéraux ont quitté l’hôpital public qui les a formés, c’est en partie pour s’affranchir de la « réunionite » qui y sévit.
Or, travailler en équipe hors des sentiers battus réclame de s'asseoir autour d’une table. Des projets comme Secpa (26 centres et maisons de santé engagés dans la « santé communautaire » et un accompagnement médico-psycho-social des populations précaires ou éloignées du soin), ont anticipé ce frein en attribuant une très grosse partie de leur budget à la coordination. D’autres opérations, comme le projet Sésame de l'institut Montaigne et de l’hôpital de Versailles (constitution d’une équipe spécialisée dans les troubles dépressifs et anxieux, en contact régulier grâce à la télé-expertise) ont suivi une autre logique pour séduire le médecin traitant : faire en sorte qu’il en fasse le moins possible, en dehors de son cœur de métier. Ainsi, ce n’est pas lui qui gère le lien premier/second recours mais une infirmière de coordination spécialisée.
« Être une teigne, s’accrocher »
Si le fait d’être un médecin libéral intégré dans un programme 51 n’est pas une sinécure, être un praticien pilote relèverait presque de l’inconscience, à en croire certains militants. « C’est mission impossible ! Il faut être une teigne, s’accrocher, relancer le ministère tout le temps ! J’ai traîné mon projet comme un boulet au pied pendant deux ans, et pourtant, je connais la maison ! », témoigne le Dr Jean-Paul Ortiz, néphrologue libéral et syndicaliste à la retraite. De la part de celui qui fut le patron de la CSMF pendant dix ans, c’est dire le degré de difficulté pour ses confrères, moins au fait des arcanes du monde de la santé.
L’article 51 en chiffres
- 1 258 dossiers déposés.
- Sur les 155 projets autorisés depuis 2018 : 61 ont finalement été rejetés et 94 sont toujours en cours, dont 25 expérimentations en période transitoire avant une éventuelle transposition dans le droit commun (dont dix sur les urgences dentaires régionales).
- 641,2 millions d’euros de financement (dont 125 millions d’euros en 2024, essentiellement pour les rémunérations dérogatoires).
- Un projet sur trois est porté par un établissement, la ville est à l’initiative dans 19 % des cas.
- Une douzaine de prises en charge différentes : maladies ostéoarticulaires et traumatismes (45 000 patients inclus), situations cliniques liées au vieillissement (26 000 patients), filière visuelle (16 800 patients), diabète (16 000 patients), etc.
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