Pourquoi la publicité par les praticiens est-elle interdite en France ?
Depuis des années se pose la question de savoir si des praticiens ont le droit ou non de faire de la publicité. Deux textes sur ce sujet existent : celui sur la libre circulation des professionnels au sein de l'UE (article 56 du traité) et une directive de 2000 sur le commerce électronique qui permet la promotion de l'activité pour la faire connaître, donc qui autorise la publicité. Ce qui revient à dire que les praticiens peuvent faire connaître leur activité d'une manière libre et en tout cas ne doivent pas subir une interdiction générale et absolue de publicité, comme cela se passe en France. Notre propos est de dire qu'une confusion est entretenue entre le droit de réglementer la publicité (un médecin n'est pas Carrefour OU une marque comme les autres !) et l'interdiction générale et absolue. Le vrai problème n'est pas le fait de réglementer la publicité, mais bien de l'interdire. Il suffisait donc de l'encadrer. Or le statu quo depuis dix ans est le suivant et avait même été confirmé par un avis du Conseil d'Etat en 2016. Selon la Haute Cour, cette interdiction était nécessaire pour protéger la santé publique et empêchait que les praticiens fassent une publicité dangereuse et invasive pour les patients.
Qu'est-ce qui a fait changer d'avis le Conseil d'Etat ?
Derrière ce problème de publicité, il y a un problème de non-respect de la hiérarchie des normes : l'article 55 de la constitution fait en effet obligation à l'Etat français de respecter les traités internationaux. Or un arrêt de la Cour de la justice de la CE a refusé cette interdiction en Belgique. Ensuite, suite à ce premier arrêt, j'ai introduit une demande auprès de la Commission européenne pour le cas de la France. Résultat, la Cour a mis en demeure la France de modifier sa réglementation. Mais pour autant rien n'a changé : les juridictions disciplinaires continuent de condamner les praticiens pour des faits de publicité. Forts de ces nouvelles décisions, nous sommes retournés devant le Conseil d'Etat pour obliger la France à respecter l'avis de la Cour européenne.
Quel est le positionnement de l'ordre des médecins sur cette question ?
Le Cnom n'est pas à une hypocrisie près. D'un côté, il soutient les interdictions et continue de poursuivre les praticiens pour des faits de publicité. Mais de l'autre, il a déjà anticipé et a déjà planché sur une réforme du code de déontologie qui reconnaît le droit à la publicité.
Pourquoi le Cnom vit-il cette contradiction ?
Retirez cette interdiction et vous ôtez au moins la moitié des condamnations des praticiens. En effet il est très difficile de définir exactement la publicité pour les praticiens.
Auriez-vous des exemples de praticiens qui se sont vus reprocher des faits de publicité ?
Premier exemple : un médecin de montagne s'est vu reprocher le fait que la taille d'un panneau indiquant "centre médical" était trop grande et considérée comme publicitaire. Résultat, il a été suspendu pendant six mois alors que les pompiers et les gendarmes ont témoigné en sa faveur : son cabinet médical n'est pas visible car il est situé au fond de la cour. Réponse de l'ordre : le praticien n'a qu'à changer de cabinet médical. Et de toute façon, même si le panneau n'était pas publicitaire à proprement parler, l'intention était bien.
Deuxième exemple : un praticien en esthétique et notamment de facettes dentaires cherche à avoir un site Internet le plus exhaustif possible. Il passe donc par une société recommandée par l'Ordre pour se le faire concevoir. Résultat, l'ordre des dentistes lui reproche un fait publicitaire et le radie de l'ordre.
Dernier exemple, un médecin nutritionniste qui publie un article sur l'alimentation avec sa photo s'est vu reprocher des faits de publicité. Mais il a été poursuivi par l'ordre.
Quel est le fond de la problématique des praticiens ?
Leur problématique aujourd'hui est qu'ils sont en concurrence avec la Terre entière. Lille est concurrencé par la Belgique, Nice par l'Italie. Or les praticiens n'ont pas les moyens de se défendre. Tout part d'un paradigme faux : on considère qu'un médecin en vaut un autre et que dès qu'il fait la promotion de son activité, il se place au-dessus de la mêlée pour se démarquer par rapport à la concurrence car tous les diplômes se valent. En tant que praticien vous n'avez pas le droit de mettre en avant votre pratique car cela insinue que vous êtes meilleur que les autres. Un autre exemple de cette aberration : un médecin nutritionniste n'a pas le droit de communiquer tandis qu'un coach en nutrition ou un ostéopathe aura le droit de le faire. Finalement ce pays est hypocrite car la médecine ne peut s'y exercer comme un commerce. Surtout cela ne se déroule pas de façon juste : est-ce que Michel Cymes qui réalise des émissions de TV ne fait pas de la pub ? est-ce que le cancérologue de Johnny qui écrit des bouquins pour dire que demain le cancer sera vaincu, ne fait pas sa pub ? Enfin, des médecins qui créent leur propre start-up sont toujours inscrits à l'ordre : est-ce normal ?
Pourquoi cette contradiction est-elle entretenue par les pouvoirs publics ?
Prenons le problème à l'envers. Certains traitements esthétiques devraient être autorisés à tous les médecins et pas seulement aux chirurgiens. Je suis allé devant la Cour de justice européenne qui m'a donné tort, arguant que la restriction était parfaitement justifiée. Et dans ce cas, la France est allée dans le sens de la Cour européenne pour justifier cette interdiction. Par contre, quand je demande à notre Etat d'aller aussi dans le même sens pour libéraliser la publicité, on me répond que la France est souveraine. On fait du Salvini dans le texte en refusant les injonctions de la Cour européenne. Le droit communautaire est simple et on doit l'accepter dans son entiereté.
Combien de praticiens sont concernés pour récupérer des indemnisations ?
Beaucoup sont concernés, mais peu en pratique vont aller jusqu'au bout de la demande d'indemnisation. En effet, les professionnels ont peur de l'ordre, des instances professionnelles et des représailles qu'ils pourraient subir ultérieurement. Dans quelques jours, je vais introduire six recours qui sont déjà évalués à 2,5 million d'euros. Par exemple, un médecin ophtalmo a été condamné à six mois de suspension en 2008. Cela représente une belle somme pour un gros cabinet d'ophtalmo. Et je m'attends à ce que le Gouvernement essaie de bloquer les recours.
Pourquoi les pouvoirs publics n'ont pas réagi plus tôt alors qu'ils se savaient en tort par rapport au droit européen ?
Certes, cela dure depuis des années. Mais c'est tout de même Agnès Buzyn qui a reçu une ferme mise en demeure de la Cour européenne. C'est bien le Gouvernement qui a refusé d'abroger le texte et qui s'est engagé à changer le texte devant l'Autorité de la concurrence. Il existe un autre point sur lequel je veux faire plier le Gouvernement, celui des titres et diplômes : en tant que praticien, vous n'avez pas le droit de mentionner sur votre site Internet vos titres de spécialisation de DU s'ils ne sont pas reconnus par l'ordre. Vous n'avez pas le droit de vous en prévaloir car c'est de la publicité indirecte.
Pourquoi les syndicats de professionnels n'ont pas réagi à cette nouvelle ?
Certes, même si tout le monde va se gargariser de cette victoire, il est étrange qu'aucun syndicat n'ait réagi dans la presse. Si la même mesure de libéralisation de concurrence avait eu lieu au sein de la SNCF, l'ensemble des syndicats de cheminots auraient réagi. Y aurait-il une confusion entre les représentants syndicaux et l'ordre, puisque ceux-là en font souvent partie ?
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