« L’Assurance-maladie est intégralement responsable de la dégradation financière de la Sécurité sociale », alerte la Cour des Comptes

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Publié le 26/05/2025
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Qualifiant 2024 « d’année noire » pour les comptes sociaux, la Cour des comptes alerte sur un risque sérieux de financement pour la Sécurité sociale, en l’absence de mesures vigoureuses de redressement. Dans sa ligne de mire, les dépenses de soins de ville, responsables du dérapage en 2024.

Crédit photo : PHANIE

Le déficit de la Sécu est-il devenu hors de contrôle ? La réponse est oui selon la Cour des comptes. Dévoilant ce 26 mai son épais rapport de 471 pages sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale (RAFSS) 2025, son premier président, Pierre Moscovici a pris un ton grave. « J’ai qualifié “d’année noire” pour les finances publiques 2024, dit-il. Cela vaut pour la Sécurité sociale, dont le financement n’est plus assuré à terme, sauf mesures vigoureuses de redressement. »

Selon la Cour, la trajectoire des comptes sociaux « hors de contrôle » « conduit à un risque de plus en plus sérieux de crise de liquidité », qui pourrait « se matérialiser dès 2027 ». En effet, le déficit s’élève en 2024 à 15,3 milliards d’euros au lieu des 10,5 milliards prévus. Et pour 2025, il est encore plus élevé, « à hauteur de 22 milliards d’euros ».

Deux causes bien identifiées expliquent ce fort dérapage : des prévisions de recettes et de croissance trop « optimistes » et surtout l’absence, « une nouvelle fois », de maîtrise des dépenses d’Assurance maladie. « Cette branche porte désormais, à elle seule, 90 % du déficit total de la Sécurité sociale. Je veux le dire clairement : l’Assurance maladie est intégralement responsable de la dégradation financière de la Sécurité sociale par rapport à 2023 », accuse franchement Pierre Moscovici.

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Les soins de ville responsables du dérapage de l’Ondam

Or dans ce cadre, l’outil de maitrise des dépenses – l’objectif national de dépenses d’Assurance-maladie, ou Ondam 2024 – n’a visiblement pas fonctionné, et ce pour la quatrième année consécutive. La Cour déplore pour 2024 1,3 milliard d’euros de dépassement (sur une enveloppe déjà bien fournie de 256 milliards d’euros), dû à une dynamique « persistante » des mêmes postes que les années précédentes : indemnités journalières (+ 8 %), honoraires des masseurs-kinésithérapeutes (+ 5,2 %), infirmiers (+ 4,9 %) et médecins spécialistes (+ 4,6 %). À cela s’ajoute une aggravation du déficit des hôpitaux publics, passé de 1,9 milliard d’euros en 2023 à un montant estimé entre 2,8 et 3 milliards en 2024, et ce malgré une reprise de leur activité post-crise sanitaire.

Des économies partiellement réalisées

Or face à cette situation, les mesures de maîtrise des dépenses programmées à hauteur de 4,4 milliards d’euros n’ont été réalisées qu’à hauteur de 25 % de l’objectif, regrette la Cour.

Et pour demain ? Quid de l’Ondam 2025 ? Sa maîtrise reste « fragile », prévient la Cour car elle suppose la réalisation de mesures d’économie d’un montant sans précédent (5,2 milliards) et une bonne tenue des dépenses de soins de ville, « principales responsables du dérapage de la dépense en 2024 ». « Or la maîtrise de cette dépense reste complexe du fait du manque de recul sur la première année de mise en œuvre de la nouvelle convention médicale signée en juin 2024 et de la poursuite des négociations entre l’administration et les entreprises pharmaceutiques sur un nouveau protocole d’accord », peut-on lire dans le rapport.

En avril, le comité d’alerte avait déjà signalé que l’Ondam 2025 reste « affecté » par plusieurs « incertitudes et faiblesses de construction », à l’instar du milliard d’économies attendu sur les prescriptions de médicaments « non encore acquises ».

Pour éviter tout nouveau dépassement de l’Ondam, la Cour recommande de définir des « mesures infra-annuelles permettant de réguler les dépenses en évitant les répercussions sur le résultat des hôpitaux publics ». Puis dans la perspective du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, les Sages en remettent une couche sur la préparation d’un programme pluriannuel de mesures de maîtrise sur la progression des dépenses de l’Ondam « en développant la prévention en santé, en réorganisant l’offre de soins des hôpitaux et des établissements et services médico-sociaux et en recherchant un partage des efforts entre les acteurs du système de santé ».

Intérim paramédical, fonctions support dans les hôpitaux, cumul emploi retraite…

Les magistrats ont également formulé de nouvelles pistes pour mieux maîtriser les dépenses à l’hôpital public. Après l’encadrement de l’intérim médical, la Cour cible l'intérim des professions paramédicales (principalement infirmiers, aides-soignants et les métiers spécialisés tels que masseurs-kinésithérapeutes, manipulateurs en électroradiologie médicale ou préparateurs en pharmacie hospitalière) dans les hôpitaux, dont le coût a été « multiplié par trois » entre 2019 et 2023. Ce poste représente 472 millions d'euros. De fait, la Cour recommande de prévoir un plafonnement global des intérimaires paramédicaux, de clarifier le régime juridique du recours au contrat de vacataire dans la fonction publique hospitalière ou de recourir aux microentrepreneurs dans les hôpitaux.

Cette meilleure gestion concerne aussi les fonctions supports qui représentent 29 % de la part totale des effectifs dans les hôpitaux (contre 71 % du personnel soignant en 2023). S’ils sont « indispensables » pour permettre aux soignants de se recentrer sur leur cœur de métier, « leur performance devrait pouvoir être comparée entre les hôpitaux » et « les services doublonnés entre plusieurs établissements devraient être mutualisés ». Leur externalisation, « lorsqu’elle est possible », devrait être appréciée au cas par cas. Par ailleurs, l’usage du numérique et de l’intelligence artificielle devrait être encouragé, notamment pour la facturation et le recouvrement.

Dans son rapport, la Cour suggère enfin une meilleure gestion des masques (absence de doctrine claire, produits en voie de péremption non redistribuée), une révision du système de cumul emploi-retraite dont le coût est jugé élevé ou encore le renforcement de la gestion des indus. Ces prestations versées à tort, qu'il s'agisse de fraude ou d'erreurs, représentent selon la Cour 18,9 milliards d'euros, soit 5 % des prestations.


Source : lequotidiendumedecin.fr