L’impact de la pandémie de Covid-19 sur la santé mentale des Français n’est plus à prouver. Selon les résultats d’une enquête menée au début du premier confinement par Santé publique France, plus d’un quart (27 %) des sondés éprouvait de l’anxiété. Un niveau nettement supérieur à celui observé en 2017 (13,5 %).
Qu’en est-il de l’état psychologique des soignants, érigés hier au rang de « héros » et taxés aujourd’hui de « collabos » par les antivax ? Les médecins généralistes payent-ils, eux aussi, un lourd tribut sur le plan psychologique ?
Le choc de la première vague, entre solitude et peur du virus
Après un an et demi de pandémie, les ressentis et vécus diffèrent en fonction des niveaux d’exposition de chacun. Malgré tout, cette crise est vécue pour une grande partie d’entre eux comme un catalyseur de stress. Pour le Dr Valérie Duthil, médecin généraliste à Oléron (Charente-Maritime), l’arrivée du virus a été perçue comme « une grosse claque ». Très vite aspirée « dans une sorte d’ébullition », la praticienne se souvient avoir « été tout de suite à fond ».
« Au début du premier confinement, l’activité du cabinet a vraiment baissé. Je suis rapidement passée à 80 % de téléconsultations », confie-t-elle. Parallèlement, la généraliste participe à la création de centres Covid. Elle est donc rapidement exposée au virus. « À l’époque, nous recevions les patients habillés en cosmonaute car on ne savait pas ce contre quoi on se battait », se souvient-elle.
Généraliste à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), le Dr Marie-Ange Lledo-Durand est, elle aussi, marquée psychologiquement par les débuts du confinement : « Je me suis retrouvée seule dans mon cabinet, sans masque FFP2, avec des patients Covid qui venaient consulter et repartaient pour certains avec le Samu ». Très exposée au virus, elle finit par contracter une forme légère du Covid : « Je me suis arrêtée quelques jours mais j’ai dû rapidement retourner travailler, je n’ai pas eu le choix ! »
Entre la peur d’être contaminées et de contaminer les autres, la pénurie de protections, la solitude et la surcharge de travail induite par la crise, le début de la pandémie a été, pour ces deux praticiennes, une source de stress très important. « Durant les quinze premiers jours, j’ai perdu du poids. Je me souviens même avoir pris un anxiolytique un soir pour m’aider à dormir, chose que je ne fais jamais en temps normal », se remémore le Dr Valérie Duthil.
Finalement, après quelques semaines très intenses, le stress retombe. « Progressivement, nous avons pris le recul nécessaire et nous nous sommes rendu compte que nous n’étions pas si impactés que ça dans la région ! », raconte la généraliste d’Oléron.
Selon le Pr Frédéric Dutheil, chef de service Santé au travail du CHU de Clermont-Ferrand et pilote de l’étude mondiale Covistress*, le niveau d’anxiété induit par le premier confinement dépend en effet, en grande partie, du niveau d’exposition des soignants : « Pendant le premier confinement, l’épidémie est restée localisée et, excepté les médecins installés dans le Grand Est et en Île-de France, peu de généralistes ont été sursollicités. »
Selon les résultats de son étude, si le niveau de stress des soignants et notamment des médecins généralistes a augmenté pendant le premier confinement, cette hausse s’avère moins importante comparée à d’autres professions : « Certaines professions enregistrent une augmentation du stress bien plus importante. Les médecins font partie de ceux qui ont pu continuer à travailler, cela a participé à limiter leur stress ! », explique-t-il.
Toutefois, cette moindre croissance du stress s’explique par une prédisposition de l’anxiété déjà élevée avant la crise dans la profession. Les médecins avaient déjà des niveaux de stress élevés, voire très élevés, « de l’ordre de 20 à 25 % de plus que le reste de la population », atteste le Pr Frédéric Dutheil.
D’ailleurs, selon lui, le niveau de stress des généralistes n’a eu de cesse de progresser à mesure que l’épidémie s’est généralisée en France. Cette augmentation est visible, selon lui, dès l’été 2020. « À ce moment-là, plus aucune région n’a été épargnée. La surcharge de travail n’a fait que croître et les médecins ont dû gérer le Covid en plus de leur activité classique. »
Surcharge de travail, tests et vaccination, les généralistes sur des charbons ardents
Après des semaines de téléconsultations, le retour en cabinet a, en effet, été particulièrement intense pour les généralistes. « J’ai eu une sensation d’urgence constante, j’avais l’impression d’être tout le temps en train de courir après le temps pour rattraper mon retard. Pendant les consultations, les problématiques du confinement (perte d’emploi, stress) revenaient d’ailleurs systématiquement. Lorsque vous avez un grand nombre de patients qui vont mal, cela augmente la charge mentale », admet le Dr Valérie Duthil.
Après le « couac des tests de dépistage », l’arrivée de la vaccination en ville en février dernier est également apparue comme une source de stress supplémentaire pour les médecins interrogés. « Nous n’avions aucune visibilité sur les doses que nous allions recevoir. Nous avons dû organiser les vaccinations avec ce qu’on nous donnait, en bloquant chaque jour une plage d’1h30 en plus de notre charge de travail habituel », raconte le Dr Marie-Ange Lledo-Durand.
Selon elle, la crise sanitaire a révélé un problème de fond : « Nous étions en première ligne tout au long de la pandémie mais après les applaudissements, nous avons été mis au placard, nous avons été considérés comme la dernière roue du carrosse ! Personnellement, je ne m’en suis toujours pas remise… » Ce manque de considération et de reconnaissance pousse d’ailleurs certains généralistes, comme le Dr Marie-Ange Lledo-Durand, à envisager de raccrocher. « En 20 ans de carrière, j’ai pour la première fois pensé à changer de métier ! », confie-t-elle.
Les missions de renfort aux Antilles, une expérience traumatisante
Comme le mentionnait préalablement le Pr Frédéric Dutheil, le niveau de stress des professionnels de santé augmente de façon significative en fonction des modalités d’exposition. Les médecins partis cet été aux Antilles pour prêter main-forte aux soignants, submergés par l’arrivée du variant Delta, parlent d’une expérience « très enrichissante » mais aussi traumatisante.
Le Dr Valérie Duthil, partie à Marie-Galante en août, a occupé pendant dix jours un poste de médecine polyvalente dans un petit hôpital de l’île. Confrontée tous les jours à des patients relevant normalement de la réanimation, la généraliste parle d’un impact émotionnel particulièrement lourd : « Lorsqu’un patient était récusé pour la réanimation, qu’il tirait sur son oxygène depuis 48 heures, qu’il s’épuisait et désaturait, il n’y avait plus d’autre choix que d’avoir recours à la sédation profonde et continue. Je n’étais pas arrivée à Marie-Galante avec cette idée première », confie-t-elle.
Une fois rentrée en France métropolitaine, le Dr Valérie Duthil estime avoir eu besoin d’au moins trois semaines pour s’en remettre : « De jour comme de nuit, j’avais des réminiscences de ce qu’il se passait là-bas. À certains moments, je tournais vraiment en boucle. Ce sont clairement des éléments de stress post-traumatiques. Heureusement, j’ai fait ce qu’il faut pour ne pas garder ce traumatisme enkysté ! »
Le Dr Alain Catineau et le Dr Françoise Salfati, médecins retraités venus remplacer le Dr Valérie Duthil, ont également vécu leur travail comme un traumatisme. Ils abordent encore avec difficulté les situations rencontrées pendant leur mission. « Un matin, nous sommes arrivés et les lits de trois patients étaient vides. Ils avaient été emportés dans la nuit par le Covid. Ces images me reviennent encore en tête », raconte douloureusement le Dr Alain Cantineau. Le Dr Françoise Salfati évoque, quant à elle, la souffrance provoquée par l’annonce des décès aux familles : « Je n’en avais plus l’habitude et c’est ce qui a généré le plus de stress pour moi… »
Vers une vague de syndromes post-traumatiques ?
Si l’impact psychologique de la crise sanitaire est bien réel, doit-on pour autant s’attendre à une vague de syndromes post-traumatiques chez les soignants ? Pour le Dr Frédéric Dutheil, cela ne fait aucun doute. Selon lui, cette vague pourrait même être « dramatique » : « Les études réalisées sur la pandémie du SARS-CoV-1 ont montré qu’un quart des soignants des services touchés par le virus avaient présenté, cinq ans après la fin de l’épidémie, des symptômes de stress post-traumatique. Pour le Covid, l’ensemble des services de médecine ont été touchés, une part non négligeable de soignants devraient donc être concernés. »
Pour le Dr Loïc Solvignon, médecin régulateur à Mots (une association d’accompagnement des soignants en situation de détresse), le défi des prochains mois est grand. « Aujourd’hui, l’état de détresse des médecins n’est pas encore bien mesuré. Mais c’est à partir de maintenant et dans les prochains mois que les signes de syndromes post-traumatiques vont augmenter. D’ailleurs, nous voyons déjà émerger chez certains soignants les signes avant-coureurs (troubles du sommeil, réminiscences nocturnes, désengagement défensif) de la crise sanitaire. »
* Covistress est une étude mondiale, pilotée par le CHU de Clermont-Ferrand, qui évalue l’impact du Covid sur la santé mentale des populations
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