Au département de médecine générale (DMG) de Rouen, en Seine-Maritime, les internes sont formés à la communication en santé dès leur première année. Cet enseignement relativement unique en France a été progressivement mis en place par des enseignants sensibles au sujet. Au départ, la communication était « enseignée par petites touches », rapporte le Dr Lucille Pellerin, généraliste, enseignante au DMG de Rouen et responsable de cette formation. « Il y a toujours eu en deuxième et troisième années des cycles de formations dédiés à ce thème. Mais, faute de moyens financiers, de compétences humaines et sûrement d’énergie, cet enseignement n’était pas la priorité ».
Prise de conscience
En 2018, un groupe d’enseignants décide de creuser la question. « Nous nous sommes rendu compte que la communication n’était pas une compétence innée ou une compétence qu’on pouvait acquérir sur le tas grâce à l’expérience. La communication s’apprend et plusieurs études scientifiques l’attestent », selon le Dr Pellerin.
Au même moment, les enseignants du DMG de Rouen constatent « une attente et des besoins forts chez les étudiants ». En effet, renchérit le Dr Pellerin, « plusieurs internes venaient nous voir pour nous raconter certaines situations dans lesquelles la prise en charge avait été difficile sur le plan de la communication. Ces situations pouvaient générer des conséquences émotionnelles importantes », souligne-t-elle.
En 2020, fort de ce constat, les enseignants décident de monter un projet de formation solide. « Nous souhaitions que cette formation soit progressive et interactive », souligne le Dr Blandine Billet, généraliste, assistante universitaire de médecine générale (AUMG) au DMG de Rouen et enseignante en communication.
Aujourd’hui, cet enseignement à la communication s’étale sur les trois années de l’internat. Pour la première année, « l’objectif est la prise de conscience, explique le Dr Blandine Billet. Les étudiants doivent comprendre qu’il est impossible de ne pas communiquer, que cela s’apprend et que c’est indispensable ! »
Pour déclencher cette prise de conscience, les étudiants doivent se prêter au jeu de la consultation simulée avec rétroaction (CoSiR). Dans une salle de l’université dédiée et transformée en cabinet médical, les étudiants sont confrontés à une consultation complexe avec un comédien professionnel jouant le rôle du patient. « Cette année, il s’agissait d’un refus d’hospitalisation », précise le Dr Lucille Pellerin. Une fois cette étape passée, l’étudiant est invité à débriefer à la fois avec le comédien et l’enseignant. « L’idée est de lui faire un retour, évoquer avec lui ses points forts et les pistes qu’il peut déjà engager pour améliorer sa prise en charge », indique à son tour le Dr Paul Thillard, généraliste, chef de clinique au DMG et enseignant au pôle communication.
Une formation progressive et évolutive sur trois ans
Pour les étudiants, cette expérience se révèle très formatrice : « Le fait de pouvoir me réécouter, me voir, m’a permis de me rendre compte de certains de mes tics de langage. Le fait d’avoir un débriefing de l’acteur pour savoir comment il a ressenti les choses m’a permis de me poser certaines questions : ai-je été trop brute ? suffisamment à l’écoute ? C’est très productif et cela nous permet d’approcher le champ de la communication au-delà des bouquins », confie Diane du Pont, interne en première année.
Ce premier cours pratique a aussi permis à François Kuefouet, également interne en première année, de prendre conscience de certains signes non verbaux qu’il pouvait envoyer au patient : « Désormais, je pense que je serai plus vigilant sur certaines de mes postures et certains de mes tics corporels qui peuvent être interprétés comme de l’agacement alors qu’il n’en est rien », relate-t-il.
In fine, les deux internes repartent avec le sentiment d’avoir progressé et quelques clés pour améliorer leur communication dans leur exercice quotidien. « Finalement, si nous apprenons à bien communiquer, la relation de soins est plus efficace », résume Diane du Pont.
En plus de ce module obligatoire, les internes en première et deuxième années peuvent poursuivre avec des ateliers thématiques optionnels. Ces ateliers sont façonnés en fonction des besoins des étudiants, recueillis à l’issue de la CoSiR. Les ateliers en question sont « centrés sur des thématiques spécifiques de communication », précise le Dr Billet, avec notamment un atelier sur la gestion des émotions, le langage verbal, non verbal et paraverbal. Des comédiens, psychologues et enseignants du DMG formés à la communication animent ces ateliers.
En deuxième et troisième années d’internat, les étudiants poursuivent leur formation avec un module « jeux de rôle ». Ils partagent des situations qui leur ont posé problème en consultation. « À partir de la situation évoquée par l’étudiant, un scénario est construit in vivo. Le but est d’essayer de recréer l’histoire vécue et de trouver la meilleure façon d’aborder la difficulté », explique le Dr Lucille Pellerin.
Enfin, lors de leur stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (Saspas), les jeunes praticiens sont évalués sur leur capacité à communiquer et ce, au moyen de la Sodev (supervision par observation directe avec enregistrement vidéo). Cet outil consiste à filmer et enregistrer en vie réelle, avec l’accord du patient, une consultation. À l’issue de la consultation, l’étudiant fait le point avec son maître de stage sur ses ressentis et les difficultés rencontrées. « La Sodev apporte une dernière aide à l’étudiant avant la fin de ses études », commente le Dr Pellerin.
Améliorer la relation médecin-patient
Au terme des trois ans, les étudiants ont les clés pour établir une relation centrée autour du patient. « L’objectif est qu’ils arrivent à construire une relation de soutien et d’alliance thérapeutique avec lui », résume le Dr Blandine Billet. « Nous sommes conscients que les trois années d’internat ne suffisent pas pour devenir expert en communication, alors nous leur donnons des ressources pour s’autoformer », ajoute-t-elle.
Les enseignants en charge de cette formation projettent maintenant de l’ouvrir aux médecins. « On se rend compte qu’il n’existe pas grand-chose sur le plan national, pourtant la demande est très importante », analyse le Dr Billet. Une formation dédiée à la communication pourrait donc voir le jour prochainement en Normandie pour les médecins installés.
Fiche d’identité du DMG de Rouen
• Directeur : Pr Jean-Loup Hermil
• Coordinateurs : Pr Emmanuel Lefebvre (pédagogique) et Dr Matthieu Schuers (recherche)
• Date de création du DMG : 1995
• 340 étudiants inscrits au DES de médecine générale
• 22 enseignants sont rattachés au DMG
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