Malgré des essais timides d’ouverture pendant la pandémie, des cloisons entre le secteur public et privé, entre le monde académique et celui des entreprises, entre l’hôpital et la médecine libérale sont restées particulièrement étanches. Or pour améliorer le système, seule une collaboration de tous les instants s’avère indispensable entre ces univers différents. Allez-vous faire tomber les murs comme à Jéricho ?
Alors, je pense que cela ne peut pas être une seule personne qui fait tomber les murs. Même si ce n’est pas la détermination qui me manque. Je suis prêt à aider à les bousculer. Je pense qu’on va vivre de toute façon une situation difficile en sortie de crise Covid. Parce que tout le monde est fatigué et qu’on pense que l’on va retrouver une nouvelle normalité où les problèmes se seront effacés. Or nous aurons à gérer les conséquences dans la population, les Covid longs, les problèmes de santé mentale entre autres. Et peut-être ce que l’on ne voit pas encore dans la durée. Nous aurons à gérer une fatigue dans la société. Et nous aurons à gérer aussi et surtout la fatigue de nos soignants. Et cette fatigue avec les difficultés qui existent depuis des décennies à l’hôpital et qui sont accrues, je dirai ces dix, quinze dernières années. La réponse que l’on apporte est massive, on n’a jamais autant investi sur l’hôpital, jamais ! 8 milliards et demi par an avec le Ségur, cela vient sans doute, et je dis avec beaucoup de lucidité, quelques années trop tard. Malheureusement, nous avons quelques professionnels qui sont en train de lâcher. Il faut tout faire pour les convaincre et réengager tout le monde pour que le sens qui a été trouvé au début de la crise soit préservé. Et que chacun se réengage. Je dis cela pour dire que la solution est dans la coopération que j’évoque.
Moi j’ai vu des soignants fatigués, épuisés mais fiers et heureux d’avoir retrouvé du sens à la fin du premier confinement. Parce qu’il s’était passé des choses qu’ils ne pensaient plus possibles, coopération entre les administratifs et les soignants, décloisonnement entre les services à l’hôpital, décloisonnement entre la ville et l’hôpital, reconsidération pour les soignants qui faisaient de la recherche en direct. En quelque sorte, il y a une compression par l’extraordinaire contrainte et la peur. Les murs ont cédé à ce moment-là. Parce que tout le monde s’est retroussé les manches ; et en quelque sorte le sens profond qui anime toute personne qui s’est engagée, qui a passé tant d’années d’études, de gardes, à soigner les autres soit retrouvé. C’est cela qu’il faut que l’on arrive à stabiliser en temps de paix. Ce sont les corporatismes, c’est la bureaucratie. La bureaucratie qui n’est pas seulement dans le secteur public, elle est chez tous les acteurs, le corporatisme qui est une maladie française remet des barrières et enlève du sens pour redonner des petits conforts de périmètre à certains. C’est notre capacité de sursaut collectif qui décidera de notre capacité à faire.
On met les moyens, on va aussi en mettre en investissements de manière inédite, on a ces 25 milliards sur la loi de programmation recherche. En matière de santé, on a mis ce programme Innovation 2030. On met 7 milliards pour accélérer, on met les moyens sur l’hôpital. Derrière, ce qu’il nous faut absolument faire, vous l’avez dit, c’est de décontraindre le système et à coopérer. Moi je crois que la nouvelle génération en particulier mais beaucoup de soignantes et soignants, quelles que soient les générations, y sont prêts. Je regarde les jeunes qui s’installent, ils ne veulent plus travailler tout seuls. Ils veulent de la coopération avec le secteur hospitalier, je parlais l’autre jour avec le maire de Fontainebleau, je parlais avec d’autres maires qui font cela aussi, on n’avait plus d’urologues dans la ville, on en a installé quatre, on leur a permis d’accéder à la plateforme hospitalière. Et donc ils veulent organiser leur temps différemment. C’est vrai, ils ne veulent plus la vie du médecin de campagne qui était taillable et corvéable à merci. Donc il faut réussir à organiser les temps différemment, l’intelligence humaine permet de le faire, la capacité à se coordonner, il faut remettre le médical au cœur de l’organisation collective, il faut partager des objectifs sur un territoire de santé publique. Et il faut débureaucratiser, décloisonner. Je pense que l’on est en capacité de le faire. Mais cela doit venir de la base. Pour moi la responsabilité de l’État, c’est d’enlever des contraintes absurdes et de donner des moyens pour faciliter le démarrage. Des moyens sont quand même là. Il faut faciliter et enlever des contraintes et permettre de l’innovation locale. C’est dur parce qu’il y a parfois des résistances. Et on met des bâtons dans les roues aux gens. Il faut laisser la capacité à innover localement. Mais il y a cette envie qui est là. Les soignants veulent retrouver le sens de la mission.
Je pense qu’une des grandes réponses à trouver en sortie de crise, c’est en effet de trouver les moyens de coopérer entre médecine de ville et médecine hospitalière, qu’il s’agisse des hôpitaux périphériques ou des CHU. C’est de repenser à notre organisation sur les territoires de l’offre de santé grâce à la télémédecine mais aussi en implantant différemment les équipes médicales, en permettant cette attitude. Parce qu’elles sont trop concentrées dans les métropoles. C’est ce qui fait que l’on a à la fois des gens dans des villes périphériques qui manquent de soignants. Et on a des soignants qui vivent mal ou malheureux parce que c’est très cher de vivre dans des métropoles. On doit pouvoir faire mieux. Et puis, vous l’avez dit, la force du modèle français historique, c’est la coopération entre la recherche et la clinique. C’est cela l’hôpital. Cela, il faut absolument le préserver. Mais il faut l’étendre. Il faut associer la médecine de ville. Et cela coince pour des raisons de corporatisme et d’organisation. On a eu une initiative avec Coverage pendant la crise. On a essayé de faire les choses. C’était un début. On voyait bien que cela n’était pas huilé. Exemple très concret pendant cette crise, les protocoles pour les traitements. On s’est battu, battu, battu pour essayer de les développer. Les gens arrivaient avec un protocole. Très bien. Mais c’est efficace si on le fait dans les deux premiers jours. Très bien.
Mais les gens, les deux premiers jours, ne vont pas à l’hôpital. Ils vont au mieux chez leur médecin traitant. Ah oui, on ne va pas demander cela au médecin traitant. Ou on ne trouve pas les médecins pour les embarquer. Ou on n’a pas l’habitude. Difficulté culturelle. Il n’y a aucune fatalité. Je suis convaincu que des médecins traitants, soit généralistes ou spécialistes ont envie. Cela les intéresse de coopérer. Le décloisonnement est clé si on veut collectivement être plus efficace. Après, ce qu'il nous faut réussir à faire, c'est cette médecine à la fois plus individualisée, plus personnalisée, cette médecine plus préventive, cette médecine où on aura intégré les capacités de l’intelligence artificielle, on doit réussir à ce qu’elle s’organise sur un territoire, à ce que les professionnels de santé soient les codépositaires des résultats sur un territoire. Et cela est le vrai défi de demain.
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