Décision Santé. Une spécialisation en physique nucléaire se révèle-t-elle un atout pour mieux appréhender les interactions entre soignants et cadres administratifs ?
Rodolphe Bourret. J’ai acquis une expérience dans plusieurs disciplines. C’est une valeur ajoutée d’avoir peut-être mené plusieurs parcours. Ce qui permet d’approcher des domaines aussi variés que le soin, l’enseignement, la recherche, l’innovation qui relèvent du quotidien d’un CHU. J’ai pu mener à bien un doctorat, une thèse suivie d’une habilitation à diriger des recherches. Je connais de l’intérieur le contexte universitaire.
DSS. Quel est votre regard de scientifique sur la crise que traverse l’hôpital public ?
R. B. L’hôpital public connaît des difficultés que l’on ne peut nier. Quant au système de santé, il fait l’objet de nombreuses critiques. Alors que ce secteur n’était pas érigé comme un dossier prioritaire pour les politiques, il est devenu, au fil du temps, notamment après la pandémie Covid une priorité nationale, voire internationale. C’est désormais un enjeu public afin d’édifier un système de santé le plus robuste possible. Or, près de quatre-vingts ans après la naissance de la Sécurité sociale, notre système est quelque peu vieillissant. Il a fait ses preuves, en autorisant un accès égalitaire aux soins même les plus sophistiqués. Pour autant, la mission de le réinventer, d’optimiser les ressources, de fixer des priorités se révèle ardue en pratique. D’où des multiples interrogations soulevées par les professionnels de santé sur l’efficience du système et l’éventuelle emprise d’un dispositif bureaucratique.
DSS. Les départs massifs de soignants sont toutefois une situation inédite, pas même imaginée il y a quelques mois.
R. B. Vous soulevez la problématique d’attractivité dans les hôpitaux publics. Mais elle s’observe également dans les établissements privés. La durée moyenne d’exercice d’une infirmière après le temps de la formation est de trois ans en moyenne, quel que soit le statut de l’établissement. Quant à la fuite des médecins, le phénomène n’est pas si nouveau. Il a déjà été décrit dans les années quatre-vingt lorsqu’a été imaginé le concept d’hôpital magnétique aux États-Unis. Il repose sur deux principes. Pour favoriser le retour de professionnels au sein des établissements, il faut leur redonner des responsabilités puis être en situation de les assumer. On ne peut les réduire au statut d’exécutants. À la place des hiérarchies classiques, un tripode de management constitué d’un médecin, d’un soignant, d’un administratif a été mis en place. Pour autant, cette structure de management pluridisciplinaire ne suffit pas pour garantir l’agilité du dispositif. Elle a donc été déclinée au niveau du terrain, à savoir celui des services. Les services administratifs au lieu et place d’une organisation pyramidale sont en appui aux décisions du terrain. Ce qui a permis de simplifier les circuits de décision, d’alléger la structure administrative. Résultat, cinq cents hôpitaux dans le monde bénéficient du label hôpital magnétique, majoritairement aux États-Unis. Et occupent les premières places dans les palmarès des hôpitaux.
DSS. En France, vous avez institué ce nouveau type de management avec succès au CH de Valenciennes. Comment dupliquer cette expérience dans un CHU comme celui de Nice ?
R. B. À ce jour, un seul hôpital en Europe dispose du label hôpital magnétique, celui du CHU d’Anvers. Ce qui témoigne de son adaptation aux missions d’un hôpital universitaire. Quant à l’hôpital de Valenciennes, il fonctionne selon les principes de ce modèle depuis une dizaine d’années avec des résultats extrêmement positifs. Au cours de cette période, l’activité a augmenté de 100 %. Il connaît un équilibre financier. Et recrute de manière régulière, en fonction des nouvelles activités. Certes, le CHU de Nice est le premier établissement hexagonal de cette taille à adopter ce modèle. Mais le statut hospitalo-universitaire ne me paraît pas un obstacle. Le modèle niçois devrait être exportable à terme dans d’autres CHU. Quel que soit le statut de l’établissement, un hôpital général ou un CHU sont régis par les mêmes codes de la santé publique, du travail ou des marchés publics. Les procédures qui fonctionnent avec succès dans un hôpital général devraient également marcher de la même manière dans un CHU. Afin de prendre en compte les spécificités de la valence universitaire, nous collaborons avec le doyen de la faculté de médecine de Nice, le président de la CME et l’ensemble de la communauté hospitalo-universitaire afin de préciser les ajustements nécessaires pour l’enseignement et la recherche. En pratique, cela ne devrait pas constituer des points d’achoppement. Au contraire, le modèle devrait en ressortir renforcé.
DSS. Pourtant le CHU est un paquebot difficile à manœuvrer avec de nombreux niveaux hiérarchiques.
R. B. Quelle que soit la taille d’un établissement hospitalier public, les quotas de personnel administratif sont comparables. L’enjeu au sein d’un hôpital magnétique est de redéployer du personnel administratif vers les structures de soin. La conduite du changement constitue en fait la principale difficulté quelle que soit la taille de l’établissement. Rappelons d’ailleurs que l’effectif de l’hôpital général de Valenciennes comprend 5 500 agents. C’est d’ailleurs le plus grand centre hospitalier général de France. En vérité, la principale difficulté repose sur l’élaboration d’une méthodologie afin de réussir la transformation tout en poursuivant les activités et optimiser la qualité de vie au travail.
DSS. Comment en pratique impulser le changement tout en travaillant moins comme l’aspirent les nouvelles générations ?
R. B. Je ne suis pas sûr que l’on travaille moins. On travaille en pratique autrement. Les professionnels de santé sont des travailleurs acharnés, vigilants à assurer leurs missions de service public, 365 jours par an. Pour les aider, on a l’obligation de leur fournir les meilleurs équipements et plateaux techniques possibles. Nous travaillons sur les notions de respect, de bienveillance, de responsabilité, de dialogue avec une attention particulière sur l’interface vie professionnelle/vie privée. Nous sommes très vigilants sur le respect des horaires de travail. Les changements fréquents de plannings sont un motif fréquent du départ des soignants. Enfin, l’augmentation du nombre de places en crèche, l’accès à un logement sont des préoccupations au quotidien. Le personnel de santé est accompagné tout au long de son exercice.
DSS. Ces mesures sont également adoptées dans d’autres types d’établissements. Mais quel est le taux de postes vacants au CHU de Nice ?
R. B. Le pourcentage de postes d’infirmières vacants est de 5 %. Par ailleurs, afin de couvrir l’augmentation de l’activité, il faudrait recruter 5 % d’infirmières supplémentaires. Toutefois, dans un hôpital magnétique, ce n’est pas une administration centralisée qui fixe un nombre de postes. C’est le service qui dispose des moyens techniques afin d’arrêter le nombre de postes nécessaires pour garantir des soins de qualité.
DSS. Le concept d’hôpital magnétique permettra-t-il d’éteindre les braises qui menacent les hôpitaux publics ?
R. B. Les organisations hospitalières sont structurellement lourdes. Les personnels de santé évoquent dans le même temps la perte de sens de leur métier. Et expriment un malaise en profondeur. L’hôpital magnétique est une autre manière de concevoir une structure hospitalière. Et de redonner des marges de manœuvre au niveau du soin, une capacité d’agir. Ce qui contribue à constituer des équipes plus dynamiques et solidaires au service des patients. Nous enregistrons une éclosion de nombreux projets.
DSS. Pourquoi la FHF n’a-t-elle pas repris pour son propre compte le concept d’hôpital magnétique ?
R. B. La Fédération hospitalière de France dispose d’une vision systémique de l’ensemble des hôpitaux publics. Elle étudie différents types de management. Et ne s’est pas prononcée sur ce modèle. En tout état de cause, nous bénéficions d’une écoute bienveillante. Je ne porte pas seul le projet d’hôpital magnétique. C’est une volonté portée par la communauté hospitalière et par le maire de Nice promoteur d’une gouvernance médicalisée. Cette structure nouvelle de gouvernance a fait ses preuves dans un centre hospitalier général. L’expérimentation actuellement menée à Nice démontrera son extension possible à un CHU.
DSS. Comment expliquer la lente diffusion de ce modèle ?
R. B. On peut citer quatre facteurs, le poids des habitudes, des certitudes, la peur du changement sans oublier le conformisme. Cela s’avère toujours difficile de remettre en cause des processus. Quant aux certitudes, j’entends souvent que certes, l’expérience de Valenciennes est formidable. Mais en substance, cela ne peut marcher qu’à Valenciennes. Il y aurait là un microclimat, extrêmement favorable. En fait aucune modification n’est à envisager pour mettre en place le modèle dans un hôpital. Mais la transformation d’une structure hospitalière lourde exige d’en assumer les conséquences, les avantages comme les inconvénients. Enfin, la bien-pensance est un phénomène partagé. Il s’avère parfois délicat de procéder à un pas de côté et de changer de direction vers un chemin encore peu fréquenté. C’est la loi du genre.
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