Le Généraliste - Pourquoi une réforme d’envergure du système de santé était devenue indispensable ?
Pr Agnès Buzyn. Le système de santé a été construit dans l’après-guerre pour répondre à des maladies aiguës. Il n’est plus du tout adapté aux besoins de santé des personnes âgées et polypathologiques. Les professionnels de santé trouvent que leur métier a perdu son sens. Les citoyens peinent à trouver des médecins. Enfin, les actuels modes de financement à l’acte favorisent la pratique au détriment de la qualité. Plutôt qu’une réformette, une réforme structurelle s’imposait. Le Plan Ma Santé 2022 vise à décloisonner les professionnels de santé, à mieux les coordonner dans les territoires pour répondre aux soins avec une tarification adaptée aux coopérations.
Vous souhaitez que d’ici à 2022, tous les Français puissent obtenir un rendez- vous dans la journée. Comment allez-vous relever ce défi ?
Nous avons prévu de mieux organiser la coopération au niveau des soins de ville en créant 1000 Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) à l’échéance de 4 ans. Nous allons investir et aider les professionnels à constituer des réseaux afin qu’ils répondent aux besoins de santé sur leur territoire. Les conditions financières seront déterminées par une négociation conventionnelle pour que les professionnels aient un intérêt à se structurer. En contrepartie, ils devront respecter un cahier des charges.
Quels devoirs devront remplir les CPTS pour obtenir des financements ?
Elles devront garantir l’accès de tous les Français à un médecin traitant, la réponse aux soins non programmés entre 8h et 20h... Les CPTS devront aussi favoriser le maintien à domicile des personnes âgées, garantir l’accès à une consultation spécialisée dans des délais raisonnables, participer à des missions de prévention et de dépistage pour la population du territoire.
Avec la promesse d’avoir accès à une consultation dans la journée, le dispositif du médecin traitant a-t-il encore du sens ?
Nous ne changeons pas la définition du médecin traitant. Aujourd’hui, nos concitoyens vont aux urgences et vont déjà voir d’autres praticiens. Être reçu en urgence par un autre généraliste d’une maison de santé parce que son médecin traitant n’est pas libre, cela se produit déjà tous les jours en France. L’idée est que les professionnels des CPTS aient accès au dossier médical partagé et que l’information soit plus fluide et partagée avec le médecin traitant.
Vous annoncez la création d’un espace numérique de santé pour tous les Français. Qui pilotera ce projet et comment réussir là où le DMP a échoué depuis 15 ans ?
Le DMP a été repris en main par l’assurance maladie et il sera déployé début novembre. Il a effectivement mis un temps fou mais il est prêt désormais. Avec l’espace numérique de santé, tous les Français auront une forme de carnet de santé numérique, rassemblant le carnet de vaccination, le DMP et l’accès à une prise de rendez-vous électronique. Avec le numérique, nous allons simplifier l’accès à la santé et l’accès des Français à leurs données de santé. Cet espace devra être construit d’ici à 2022. Une direction du numérique en santé au sein du ministère va le développer. La première brique sera le DMP à partir du 1er novembre.
Vous voulez renforcer l’égalité d’accès aux soins. Avec ces mesures très technologiques, ne risquez-vous pas au contraire de renforcer les inégalités, de nombreux patients n’ayant pas accès au numérique ?
A chaque projet mené autour du numérique, la question de « l’illélectronisme » se pose. Il ne faut évidemment pas que cette réforme entraîne un non recours pour 15 % de nos concitoyens. Les outils dont nous disposons aujourd’hui sont essentiellement dédiées aux professionnels de santé. Nous avons 4 ans pour que les Français s’en emparent aussi.
4000 postes d’assistant médical seront créés d’ici à 2022. Comment seront-il financés et par qui ?
Nous devons dégager du temps médical aux médecins. Nous prévoyons de financer 4000 postes sur le quinquennat pour les médecins qui s’engagent dans un exercice collectif. L’objectif est de les décharger de tâches chronophages qui n’ont pas de valeur ajoutée : tenue du dossier, prise de poids, de température... Les assistants partiellement financés par l’assurance maladie vont décharger à peu près 15 % du temps médical, ce qui permettra aux professionnels de prendre plus de patientèle. La stratégie de déploiement de cette mesure sera arrêtée après concertation avec les représentants des professionnels de santé avant la fin de l’année.
Demander aux médecins d’augmenter leur patientèle alors qu’on leur reproche souvent une certaine course à l’acte, n’est-ce pas paradoxal ?
Non, dans certains territoires, des patients ne trouvent pas de médecin traitant. C’est une réalité. Nous proposons d’accroître la délégation de tâches. Le suivi de certaines pathologies chroniques pourrait être délégué à des professionnels paramédicaux. Certaines tâches répétitives peuvent être aussi bien faites par d’autres professionnels. Je pense à la vaccination par les pharmaciens, par exemple, qui a vocation à se déployer.
La PDS va-t-elle redevenir obligatoire au sein des CPTS ?
Non. Nous demandons aux CPTS d’assurer un accès aux soins non programmés et délivrer des soins de 8 heures à 20 heures. Aux urgences, on voit arriver énormément de personnes qui n’ont pas trouvé de médecin. Ce flux de patients en fin d’après-midi pourrait être pris en charge en ville, ce qui soulagerait les hôpitaux.
Pourquoi ne pas avoir apporté de réponse directe à la crise des urgences dans le cadre de cette réforme ?
Les urgences sont un symptôme et ce ne sont pas des mesures sur les urgences qui vont traiter les causes. Les causes, c’est l’accessibilité aux soins et les soins non programmés qui seront traités par les CPTS, les lits d’aval – tous les hôpitaux auront des gestionnaires de lit. Un grand nombre de mesures visent à désengorger les urgences, en attendant que les générations d’urgentistes formées dans le cadre du nouveau DES viennent renforcer les équipes en place.
Nous trancherons définitivement la question de la mise en place d’un numéro unique dans un deuxième temps. Nous attendons pour la fin octobre un rapport de l’IGAS et de l’IGA. Nous ferons des annonces d’ici à la fin de l’année.
Vous voulez impliquer les médecins libéraux dans les hôpitaux de proximité. Quel rôle pourrait y tenir les généralistes ?
Les généralistes pourraient avoir une part de leur activité dans ces 500 à 600 hôpitaux de proximité que nous labelliserons. Ces établissements vont se recentrer sur les besoins de premier recours sur le territoire (médecine polyvalente, gériatrique, SSR, équipes mobiles...) qui disposeront d’un plateau technique (biologie, radiologie). Nous voulons que ces hôpitaux locaux travaillent en symbiose avec les médecins du territoire pour développer des projets de santé. Mais aussi que ces praticiens puissent avoir une activité au sein de ces hôpitaux de proximité. C’est déjà le cas pour quelques-uns. Il y a une appétence des jeunes médecins pour l’exercice mixte. Dans beaucoup de pays, il n’y a pas une telle dichotomie entre la médecine générale libérale et la médecine hospitalière de premier recours.
Quand le numerus clausus sera-t-il supprimé ? Et par quoi sera-t-il remplacé ?
Nous n’avons pas pris cette mesure, qui aura des effets d’ici 10 ans, uniquement pour lutter contre les déserts médicaux. L’enjeu est d’arrêter ce gâchis humain insupportable avec trop d’étudiants brillants mis en échec. La PACES recrute des futurs médecins sur du bachotage. Cela entraîne un profond mal-être des étudiants, des dépressions, des suicides, des arrêts pendant les études. La médecine est en train de changer et nous avons besoin de diversifier le recrutement des médecins dont le profil est aujourd’hui trop standardisé. Nous réfléchissons avec la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal à mettre en place davantage de passerelles entrantes et sortantes. Cette réforme nécessitera une concertation avec les étudiants et une loi qui entrera en vigueur en2020.
Deux hypothèses ont été avancées pour remplacer le numerus clausus : un numerus apertus (un nombre plancher d’étudiants à former dans chaque fac) ou la possibilité de faire une sélection après la 3e année d’études.
Nous retiendrons probablement les deux options car nous voulons assouplir les modalités de sélection. Nous devons former un minimum de 9000 médecins. Nous voulons laisser plus de souplesse et de liberté aux facultés. Les facs et les services hospitaliers étant déjà très chargés, il faudra développer des formations hors les murs, recruter des maîtres de stage, cela prend du temps.
Les ECN vont aussi disparaître. Sur quels critères les futurs médecins choisiront-ils leur spécialité ?
L’examen national classant est dénué de sens puisque les jeunes peuvent devenir médecin en ayant 0. C’est insupportable. Dorénavant, il y aura un examen en 5e année. Les candidats devront avoir 10/20 pour devenir médecin. Une partie de l’évaluation se fera tout au long des stages sur la clinique. Une partie de l’évaluation sera liée à l’engagement des étudiants dans certaines activités (humanitaire, service sanitaire allongé, reconversion d’autres professions de santé) pour récompenser les parcours individuels.
Combien coûtera cette réforme ? Quel sera l’ONDAM pour en assumer le financement % ?
Nous allons nous donner un peu de marge pour réformer, pour financer les hôpitaux de proximité, les CPTS, la tarification forfaitaire des parcours, le soutien à l’investissement notamment des établissements de santé outre-mer... L’ONDAM sera relevé à 2,5 %, ce qui représente 400 millions d’euros pour l’année prochaine. Au total,ce seront au total plus de 3,4 milliards d’euros qui seront consacrés, d’ici 2022, à Ma Santé 2022, dont près d’1 milliard d’euro en faveur de l’investissement hospitalier et 1,6 milliards d’euros pour la structuration des soins dans les territoires, en ville et à l’hôpital.
Et puis nous espérons par ailleurs réduire les dépenses inutiles qui représentent aujourd’hui de 10 à 20 milliards d’euros par an. Nous avons une marge de progrès énorme.
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