LE QUOTIDIEN : Aurélien Rousseau a quitté avec fracas le ministère de la Santé pour marquer son désaccord avec l’adoption de la loi immigration. Les politiques de gauche ont-ils toujours leur place en Macronie ?
BRUNO CAUTRÈS : Grande question ! Nous nous l’étions déjà posée lors de la composition du gouvernement d’Élisabeth Borne. C’est pratiquement équilibré en termes de ministères, si l’on définit « la gauche » au sens large, mais ça ne reflète pas l’état des choses. Ce qui a marqué l’année passée, c’est la réforme des retraites et la loi immigration… soit des orbites de la droite.
Aurélien Rousseau est un grand expert du monde de la santé et de l’hôpital. En tant qu’ex-directeur de cabinet de la Première ministre, il connaît le cœur du dispositif. Il a véritablement été nommé « ès qualités ». Sa démission – qui a été minimisée, mais qui a marqué l’opinion – nous en dit long sur la difficulté de l’exécutif à avoir un bon dialogue avec les professions de santé. Emmanuel Macron clame que rien n’est plus essentiel à ses yeux que d’assurer l’avenir des services publics comme l’hôpital et plus particulièrement les urgences. Mais le dialogue reste difficile avec le secteur. Le Ségur et les nouvelles revalorisations salariales ne suffisent pas à donner le sentiment d’un dialogue fluide.
Quid d’Agnès Firmin Le Bodo : peut-elle se relever de l’enquête en cours sur les cadeaux que lui aurait offerts Urgo ?
C’est très difficile, parce qu’on est dans un contexte où l’opinion est extrêmement sensible à ces questions. À cran sur le pouvoir d’achat, les Français ont le sentiment qu’on demande aux mêmes de payer la facture à la fin. Concrètement, ils ne comprennent pas qu’un membre du gouvernement ait reçu des cadeaux, ce qui ressemble à de l’influence. Bref, le tableau est chargé : Olivier Dussopt (le ministre du Travail, ndlr) est lui aussi concerné par le même type d’affaire…
Agnès Firmin Le Bodo est totalement inconnue, elle n’a pas le facteur d’impact d’un Olivier Véran par exemple, qui à l’époque avait bénéficié de « l’effet Covid ». Elle n’est pas autant « cœur de cible » que ce dernier ou Aurélien Rousseau. De plus, c’est compliqué quand, dès le démarrage, vous êtes associée à de la négativité et qu’on vous nomme « par intérim ».
Le ministère de la Santé est-il maudit ?
Dans les grandes missions de l’État, le ministère de la Santé est l’un de ceux qui ont le plus tourné, si l’on compare, par exemple, à la Sécurité ou au Budget. Est-ce l’illustration de la difficulté de l’exécutif à trouver une personnalité adéquate ? Au départ, Olivier Véran était une belle prise : député de gauche, universitaire hospitalier… il incarne la santé, comme mission de politique publique… Si je compare à Bruno Le Maire, star du gouvernement, qui inspire le sérieux, l’expertise technique, le sens des responsabilités… il est en poste depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron ! Gérald Darmanin aussi.
C’est ce qu’il manque, à la Santé : une grande personnalité reconnue par ses pairs, avec un poids politique et qui incarnerait l’engagement. Aurélien Rousseau se serait progressivement imposé… Il faut un horizon plus long que le mandat d’Emmanuel Macron. Mais c’est également difficile, car la Santé fait partie des ministères, comme l’Éducation, dont on voit les résultats de l’action que plusieurs années plus tard.
Un des problèmes ne réside-t-il pas dans le fait qu’on demande au ministre de la Santé d’être politique ?
Oui, mais ça ne concerne pas que Ségur. Il faut montrer qu’on est un grand professionnel, mais aussi qu’on est en écho avec le projet global de l’exécutif. C’est une difficulté de plus en plus récurrente… et même pour le chef de l’État, dans son deuxième mandat. Où est la principale direction de l’action publique : préparer le service public à la France de demain, la transition écologique, la sécurité, les menaces externes ? On a beaucoup de mal à hiérarchiser !
Dans le secteur de la santé, que nous dit-on sur les 15-20 prochaines années : peut-on compter sur un modèle à la française et sur notre pérennité budgétaire ? Beaucoup se posent la question du vieillissement de la population, qui impacte toutes les familles : est-ce notre priorité ? Quid de la santé publique ?
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