LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous rappeler la genèse de cet accord sur les pandémies ?
ANNE-CLAIRE AMPROU : Il y a un avant et un après Covid. Après l’urgence première, des groupes d’experts indépendants ont été mandatés par le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) dès 2020. Ils ont émis de premières recommandations, au regard de la préparation – ou de l’impréparation – à cette crise et sa gestion (1). Parmi elles, deux principales ont émergé : réviser le règlement sanitaire international, qui n'était pas adapté à une crise comme celle que nous avons vécue, et le compléter par un accord indépendant, intégrant la prévention et l’organisation d'un accès équitable aux produits de santé. Lors de l’assemblée mondiale extraordinaire de la santé qui a eu lieu le 1er décembre 2021, les États membres de l’OMS ont lancé les deux processus. Les négociations étaient pilotées par un bureau composé de six membres, un par région de l’OMS, bureau dont j’assurais la coprésidence aux côtés de l’Afrique du Sud.
Cet accord a été qualifié d’historique. En quoi l’est-il selon vous ?
C’est un accord historique au regard du contexte géopolitique mondial, d’un multilatéralisme fragilisé, remis en cause par certains pays. C'est aussi un accord historique par le contenu même, pour la sécurité sanitaire, l'équité, la solidarité internationale.
L’accord est aussi une avancée pour plus d’équité, l'accès aux vaccins des pays du Sud ayant notamment été problématique lors du Covid. Nous avons créé, à l'initiative de la France notamment, deux mécanismes : l’ACT-Accelerator (2) et le Covax, un portefeuille mondial et partagé de vaccins. L’un des axes majeurs de l’accord est l'accès aux diagnostics, traitements et vaccins.
Quels sont les mécanismes prévus dans cet accord ?
L’un des principaux est le « système d'accès aux agents pathogènes et de partage des avantages », appelé PABS en anglais. C’est un mécanisme d’accès commun aux pathogènes et de partage systématique et rapide des « contre-mesures » médicales qui en sont issues. En cas de pandémie, chaque industriel ayant signé volontairement un contrat avec l’OMS bénéficiera de l’accès aux pathogènes et devra ensuite rapidement mettre à disposition de l’organisation onusienne jusqu’à 20 % de sa production de produits, dont au moins 10 % sous forme de dons, les 10 % restants devant être proposés à un prix abordable ou au prix du marché. Toutes les entreprises peuvent librement adhérer, que leur siège se trouve dans un pays signataire de l’accord ou non.
Le périmètre de ce mécanisme, qui inclura à la fois échantillons et données de séquençage, et le dispositif unique, c’est nouveau. C’est également complexe, raison pour laquelle nous préparons une annexe technique. Une fois celle-ci terminée, l’accord sera ouvert aux pays pour signature définitive. Nous faisons aussi la promotion du transfert de technologie industrielle, sur la base du volontariat, créons une chaîne d’approvisionnement et logistique mondiale pour la distribution des produits de diagnostic, traitements et vaccins, et renforçons le volet prévention, essentiel.
Tous les États, quel que soit le niveau de développement, ont intérêt à la mise en œuvre de cet accord
Quelles ont été les difficultés ?
Tous les points ont fait l’objet de discussions intenses, avec parfois des divergences de vues importantes. Je pense notamment à l’accès aux pathogènes et à une redistribution mondiale des produits de santé issus de ces pathogènes… Mais également au transfert de technologies, qui doit s’articuler avec d’autres accords internationaux existants sur la propriété intellectuelle, notamment ceux qui ne se négocient pas à l'OMS…
L’accord introduit aussi pour la première fois la notion de « One Health », en la définissant. C'est un pas en avant majeur en termes de prévention. Cette approche qui permet d’avoir une surveillance multisectorielle et des mesures de prévention des risques zoonotiques très en amont, notamment lorsqu’une pandémie naît du passage de la barrière d’espèces, a finalement été acceptée. C'est la première fois que l'on écrit dans un accord international une telle ambition en termes de prévention. Les santés humaine, animale et de l’environnement sont indissociables. Ce qui est une priorité pour la France et l'Union européenne. D'un pays à l'autre, ces notions peuvent varier, ne serait-ce que parce que tous n'ont pas les mêmes capacités pour les mettre en place.
Comment renforcer les systèmes de santé régionaux ?
Les ressources humaines en santé sont prioritaires, ainsi que le renforcement des capacités de productions locales. Un mécanisme de coordination des financements est prévu pour accompagner les pays, notamment ceux en voie de développement. Ces aspects correspondent à une priorité stratégique puisque la France a lancé l'Académie de l'OMS à Lyon, inaugurée en décembre 2024 avec le président de la République. Le volet ressources humaines est fondamental, dans les pays en développement mais aussi dans les pays développés, notamment en France.
Nous devons en outre être dans la préparation à long terme, avec le renforcement de la production locale de produits de santé et d’une production diversifiée. Ce qui passe par un soutien aux structures de régulation et réglementation. En France nous avons la chance d’avoir une agence solide, l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), ce n'est pas le cas dans tous les pays. L’un des axes centraux sera ainsi de renforcer les agences nationales ou régionales du médicament.
Quel a été l’impact du retrait américain de l’OMS à la suite de l’élection de Donald Trump ?
Les États-Unis ont en effet quitté, le 20 janvier dernier, la négociation dans laquelle ils étaient très impliqués depuis trois ans. Ils ne feront pas partie de l'accord à court terme. Rien cependant n'empêchera les États-Unis de le signer et le ratifier éventuellement plus tard. Nous avons eu des précédents, comme avec les accords de Paris sur le climat.
Concernant les mécanismes d'adhésion volontaire pour les industriels, une entreprise américaine peut très bien adhérer au PABS malgré la défection étatique. Toujours est-il que le retrait américain de l'OMS a effectivement eu un impact majeur, puisque les États-Unis assuraient près de 20 % de l’agence onusienne. L'Organisation travaille sur un plan de priorisation et de restructuration afin de préserver ses missions essentielles dans ce contexte nouveau.
L’accord ne remet absolument pas en cause la souveraineté des États
Quels sont les défis à relever et les limites à cet accord ?
Je voudrais redire que, contrairement à ce qui a pu être affirmé, il n’est pas exact de considérer qu’il existe des obligations pour les pays du Sud et des avantages pour les pays du Nord. Tous les États, quel que soit le niveau de développement, ont intérêt à la mise en œuvre de cet accord. Tous les États ont obligation de partager leurs pathogènes. Je rappelle que la France et les territoires ultramarins sont aussi sources de pathogènes et de zoonoses.
Sur la recherche, un immense progrès est réalisé avec l’article destiné à renforcer la collaboration scientifique et le partage effectif des données et résultats. Justement pour éviter la récupération de données, leur rapatriement et la production de résultats simplement au Nord.
Par contre, je voudrais être très claire sur le fait que cet accord ne remet absolument pas en cause la souveraineté des États, car, au contraire, il la renforce. En aucun cas l'OMS ne prendra de décisions supranationales, sur une vaccination, un passe sanitaire… Les États demeurent souverains, avec leurs règles nationales.
Quand peut-on espérer que l’accord entrera en vigueur ?
Une fois l’accord adopté définitivement lors de l’Assemblée mondiale de la santé le 20 mai, il reste l’annexe technique à finaliser pour la 79e assemblée mondiale de la Santé en mai 2026 avant de l’ouvrir à signature avec l’accord par les États.
L’accord ne pourra ensuite entrer en vigueur que lorsqu’il sera ratifié par 60 premiers États. En moyenne, il faut compter 18 mois. Cet accord est le signe d'une prise de conscience mondiale, dans un contexte où le repli sur soi pourrait être un réflexe. C’est une victoire du multilatéralisme et de la coopération internationale, indispensable en santé. La sécurité sanitaire d'une population dépend de celle des autres pays. Les virus, rappelons-le, n'ont pas de frontières. Un accord international en santé, c’est aussi assurer, en France, la souveraineté et la sécurité sanitaires de notre population.
(1) Rapport OMS IPPR, publié en 2021
(2) L’accélérateur d’accès aux outils Covid-19 (ACT) est une collaboration mondiale visant à accélérer le développement, la production et l’accès équitable aux tests, traitements et vaccins, créé lors du Covid-19 et depuis élargi à d’autres maladies.
Repères
Avril 2020
Lancement de l'accélérateur ACT (pour Access to Covid-19 Tools), qui réunit gouvernements, scientifiques, entreprises, société civile, organismes philanthropiques (Fondation Gates) et organisations mondiales (Cepi, alliance Gavi, Fonds mondial, OMS, Banque mondiale, etc.)
Décembre 2021
Les États membres de l’OMS créent l’organe intergouvernemental de négociation chargé de rédiger une convention ou un accord afin de renforcer la prévention, la préparation et la riposte face aux pandémies
Avril 2025
Signature de l’accord sur les pandémies
Mai 2025
Adoption de l’accord et de son annexe technique lors de l’Assemblée mondiale de la santé
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