Après de longs mois de réflexion et plusieurs reports, Emmanuel Macron a dévoilé ce 10 mars les contours du « modèle français de la fin de vie » : une « aide à mourir » qui permette à certains patients, selon des conditions strictes, de recevoir une substance létale. Le projet de loi du gouvernement, qui inclura aussi un volet sur les soins palliatifs, sera transmis sous dix jours au Conseil d’État puis présenté en avril en Conseil des ministres pour un examen en première lecture à l'Assemblée nationale à partir du 27 mai, puis au Sénat après l’été. Le processus parlementaire s’annonce long avec deux lectures dans chaque chambre, et probablement une commission mixte paritaire.
Promesse de campagne, cette loi est « nécessaire parce qu'il y a des cas qu'on ne peut pas accepter humainement », a défendu Emmanuel Macron dans une interview à Libération et à La Croix. Il s’agit aussi d'une « loi de rassemblement, de fraternité, qui concilie l'autonomie de l'individu et la solidarité de la Nation », a-t-il plaidé, pesant savamment les mots.
Discernement plein et entier, pronostic vital engagé, décision collégiale
Seuls seront concernés par la possibilité d’une aide à mourir les majeurs « capables d'un discernement plein et entier ». Les malades psychiatriques, les personnes atteintes de maladie neurodégénérative (Alzheimer, etc.) ou encore les mineurs sont exclus.
De plus, le patient doit avoir un pronostic vital engagé à court ou moyen terme (la loi ne précise pas de durée, qui reste à l’appréciation des soignants), et connaître des souffrances réfractaires que l'on ne peut soulager. « Ces critères sont cumulatifs », précise l’Élysée.
Après la demande du patient, « il y a un minimum de deux jours d’attente pour tester la solidité de la détermination », explique Emmanuel Macron. Puis la réponse de l’équipe médicale, collégiale (au moins deux médecins et éventuellement des paramédicaux) et transparente, doit intervenir dans un délai de quinze jours maximum. « L’équipe médicale qui examine la demande va non seulement s’assurer que les critères d’accès sont réunis, mais peut aussi demander l’avis de spécialistes et consulter les médecins, psychologues, infirmiers ou aides-soignants qui ont l’habitude d’accompagner la personne », précise Emmanuel Macron.
En cas de réponse favorable, la prescription du médecin est valable trois mois, période durant laquelle le patient peut se rétracter à tout moment. En cas d’avis défavorable, le malade pourra « aller voir une autre équipe médicale » ou « procéder à des recours ». L’Élysée confirme que sont envisagées des listes de médecins volontaires vers lesquels les médecins réfractaires pourraient orienter les patients en demande d'aide à mourir.
Possible recours à un tiers
Le patient pourra absorber seul le produit ou l’administration peut être effectuée, « lorsqu’il n’est pas en mesure d’y procéder physiquement (dans le cas de certaines maladies neurodégénératives comme la maladie de Charcot, NDLR), à sa demande, soit par une personne volontaire qu’il désigne lorsqu’aucune contrainte d’ordre technique n’y fait obstacle, soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne », dit le projet de loi. « C’est aux professionnels de santé, si l’aide à mourir est décidée, de définir, dans un dialogue avec le patient, les modalités de sa mise en œuvre. Par exemple, de recommander la présence ou non d’un personnel médical ou le lieu plus approprié, étant entendu qu’aucun n’est exclu, domicile, Ehpad ou établissement de soins », indique le président de la République. Les soignants pourront faire jouer leur clause de conscience. En revanche, un établissement ne pourra pas refuser l’accès à ce dispositif pour un résident.
Si cet acte – pris en charge par l’Assurance-maladie - peut s'apparenter à une forme de suicide assisté, Emmanuel Macron assure vouloir éviter ce terme ou celui d'euthanasie, car le « consentement » du patient est indispensable et « la décision médicale a son rôle à jouer, avec des critères précis ». « Il ne s’agit pas de suicide car la mort est déjà là », insiste l’Élysée. Et de réfuter aussi l’expression de « secourisme à l’envers », qui avait fait irruption dans le débat à l’automne, à la faveur d’une version préliminaire du projet de loi, ainsi que celle d’« exception d’euthanasie », ou encore de « nouveau droit », longtemps promue par Agnès Firmin Le Bodo.
La loi devrait mettre en place une instance de contrôle chargée de vérifier la traçabilité et la légalité des procédures d’aide à mourir. Pénalement, les personnes qui accompagneront l’aide à mourir seront exonérées de toute sanction, précise l’Élysée.
Un milliard supplémentaire pour les soins palliatifs
L’aide à mourir n’est que le dernier des trois volets du projet de loi sur la fin de vie qui aborde aussi les soins d’accompagnement (autrement dit l’acception élargie de la notion de soins palliatifs), et le droit des patients et aidants.
Si certaines mesures sur les soins palliatifs ont besoin de ce véhicule législatif, d’autres pourront être mises en œuvre sitôt la stratégie décennale dévoilée d’ici à la fin du mois de mars, à partir du rapport rendu en décembre dernier par le Pr Franck Chauvin. Parmi les priorités : le renforcement de l’accompagnement des soins pédiatriques ; le déploiement des équipes mobiles à l’intérieur des hôpitaux, et à l’extérieur, avec l’aide des généralistes et des infirmiers libéraux pour garantir des fins de vie à domicile ; la mise en place d’unités de soins palliatifs dans les 21 départements qui en sont dépourvus ; et la création de maisons d’accompagnement. Quelque 1,6 milliard d’euros sont consacrés à ces soins aujourd’hui. La stratégie décennale prévoit de débloquer sur l’ensemble de la période, un milliard d’euros supplémentaire.
Des soignants toujours divisés
Si le projet de loi se veut l’aboutissement d’un long cheminement, scandé par l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en septembre 2022 et les conclusions remises par la Convention citoyenne au printemps 2023, une partie des soignants rappelle sa « consternation et colère ». Regroupé au sein d’un collectif*, il dénonce « un modèle ultra-permissif », « une confusion sur le sens du soin », « une méconnaissance de l’ambivalence du désir de mort », un « manque de considération pour les plus vulnérables », « un mépris du travail des soignants », et sur la forme, l’absence de prise en compte de leur parole.
À l’inverse, l’Académie nationale de chirurgie soutient les orientations présentées par le président de la République, en phase avec son analyse, également partagée par l’Académie de médecine. Le Collège de la médecine générale (CMG) insiste de son côté sur la nécessité de renforcer les soins palliatifs et de former les professionnels de santé, l’importance d’une clause de conscience et des comités d’éthique pour soutenir la réflexion collégiale et éviter les dérives, ou encore la pertinence d’une consultation dédiée au recueil des directives anticipées. « Enfin, la France sort de la valse-hésitation de ces derniers mois », a réagi l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), saluant « un calendrier assez précis ».
* Association française des soins oncologiques de support (Afsos), Association nationale française des infirmier.e.s en pratiques avancées (Anfipa), Association pour la clarification du rôle du médecin dans les contextes de fin de vie (Claromed), Syndicat des médecins coordonnateurs, Ehpad et autres structures, généralistes ou gériatres - Confédération des syndicats médicaux français (SMCG – CSMF), Conseil national professionnel de gériatrie (CNPG), Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (Ffamco-Ehpad), Fédération française des infirmières diplômées d’État coordinatrices (Ffidec), Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad), Association nationale des médecins coordonnateurs et du secteur médico-social (Mcoor), Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap), Société française du cancer (SFC), Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), Syndicat national de gérontologie clinique (SNGC), Syndicat national des généralistes et des gériatres intervenant en Ehpad (SNGIE), Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation (SFNDT), Société française de soins palliatifs pédiatriques (2SPP), Unicancer soins palliatifs
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