Après deux jours d’attente, la petite Nada, 12 ans, va être opérée d’une simple appendicite dans une chambre fatiguée de l’hôpital public de Zabadani, à une cinquantaine de kilomètres de Damas, la capitale syrienne. « La salle d’opération n’était pas disponible avant deux jours. On a cherché ailleurs, mais les prix des établissements privés, qui demandent 6 à 7 millions de livres syriennes (environ 600 euros, NDLR) en moyenne, dépassent nos moyens. Alors on est revenu ici », explique sa tante à son chevet.
Allongée sur un vieux brancard dans la salle d‘urgence, Nada attend désormais que la salle d’opération soit prête. Sur les cinq blocs de cet hôpital gouvernemental fondé en 2007, deux seulement fonctionnent encore, faute de moyens, d’équipements et de personnel.
Cet établissement, qui dessert quelque 150 000 habitants et couvre 17 villages, est à l’image du pays : exsangue. Après quatorze ans d’une guerre civile qui a fait plus d’un demi-million de morts et 150 000 disparus, et une crise économique presque aussi féroce, la survie du secteur hospitalier est en jeu.
Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi : avant 2011, celui-ci était plébiscité pour la qualité de ses soins, son maillage territorial et l’excellence de ses médecins. Même son industrie pharmaceutique tenait le haut du pavé, fournissant 80 % des besoins du marché local.
À Zabadani, le seul hôpital de la région n’est d’ailleurs pas vétuste, mais l’argent manque au point que presque plus rien ne fonctionne. « Les infrastructures ne marchent plus dans tout le pays : l’absence d’électricité (l’État ne fournit qu’une à deux heures par jour de courant, NDLR) est l’un de nos principaux problèmes », explique son directeur Ayham Ali Omat en s’enquérant de la petite dizaine de patients présents dans la salle d’attente du premier étage. « Notre équipement est soit trop vieux, soit trop abîmé : de nos 10 lits de soins intensifs, seuls deux ont des moniteurs fonctionnels. La radiographie tient le coup, mais nous n’avons pas de médecin pour analyser les résultats. Pas d’IRM non plus : aucun des 40 hôpitaux de cette région n’en a de toutes les façons, ce qui nous force à transférer 40 % de nos patients à Damas », décrit cet homme nommé il y a deux ans à la direction de l’établissement.

Très souvent, désormais, les patients doivent acheter au préalable leurs propres fournitures et médicaments pour être pris en charge. « Leur nombre augmente : beaucoup de ceux qui étaient recherchés par l’ancien régime et n’osaient pas se soigner viennent désormais. Avec des besoins, liés à la guerre, notamment orthopédiques auquel nous ne pouvons pas répondre. Avec le retour attendu des milliers réfugiés syriens dans leur région natale, la pression sur notre hôpital pourrait être énorme rapidement », reprend-il. Dernièrement, le ministère de la Santé syrien a lancé un appel à l'aide pour les traitements anticancéreux dont il ne lui reste qu'un mois en stock.
Comme Zabadani, plusieurs localités de cette région rurale ont en effet été bombardées et assiégées durant la guerre civile, poussant la population à fuir en nombre, notamment au Liban dont la frontière se trouve à quelques kilomètres.
Pas de versement des salaires
Selon les estimations d’Endless Medical Advantage (EMA), une ONG médicale, 2,5 millions d’euros sont nécessaires pour remettre sur pied l’établissement, où les soins sont gratuits, alors que son budget, alloué par l’État, ne couvre même plus les repas des 210 membres de son personnel.
Son directeur n’a pas la moindre idée d’où trouver pareille somme : le ministère de la Santé ne paye plus depuis plusieurs mois le salaire des médecins (en moyenne entre 60 et 70 euros par mois) et des infirmières (30 euros). Quant aux ONG internationales, celles-ci tardent à démarrer leurs programmes d’assistance.
La dégradation du secteur s’est accélérée à partir de 2020 avec le Covid. Couplée aux sanctions américaines prises dans le cadre de la loi César cette même année, cela a signé son chant du cygne : « Même si elles n’étaient pas censées toucher la santé, elles ont perturbé voire empêché le renouvellement de certaines lignes de médicaments ou d’équipements. Cela a mis de facto en jeu notamment les traitements pour des maladies chroniques : l’espérance de vie a baissé en Syrie, spécialement chez les jeunes et des maladies soignables ne le sont plus », analyse le Dr Firas Alghadban, originaire de la région, qui a fondé l’association EMA et tente d’aider l’hôpital où il a lui-même pratiqué.
Sans la levée des sanctions et l’arrivée d’une aide à la fois financière et matérielle pour reconstruire ou améliorer infrastructures et équipements, le secteur ne pourra pas se relever. « Il reste encore de nombreux docteurs en Syrie (environ 15 000 ont fui le pays du fait du conflit, NDLR), parfaitement compétents, mais il n’y a pas assez d’argent pour qu’ils assument un plein-temps. Sur les quelque 70 médecins de l’hôpital, la plupart sont à temps partiel, en rotation faute pour l’hôpital de leur fournir un salaire décent », conclut le docteur Firas Alghadban.
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