« À partir du moment où le syndrome dépressif est arrivé, j’ai arrêté les activités sportives pour ne penser qu’au travail. Je ne dormais plus, je ne sortais plus. Le matin, je me demandais si j’allais bosser ou si je fonçais dans un mur », explique Stéphanie*, médecin en traumatologie. Son psychiatre décide de l’arrêter pendant deux mois, et lui conseille de consulter à l’hôpital de jour de Garches. Une prise en charge qui l’a sauvée. Car, les quatre années précédentes, la praticienne s’est enfoncée petit à petit dans la dépression.
Des difficultés avec ses collègues
Pendant cette période, Stéphanie exerce en tant que médecin de la douleur dans un service hospitalier. Mais elle ressent que sa manière de travailler ne correspond pas à celle de son équipe. « Nombre de reproches et de remarques m’ont été adressés sur la tenue de mes dossiers. On m’imputait de ne pas noter pas tous les bilans biologiques, alors que j’avais toujours travaillé de la même manière… », témoigne-t-elle. La spécialiste privilégie la prise en charge pendant sa phase aiguë, avant les tâches administratives. Un point de vue qui n’est pas partagé par ses collègues, selon la praticienne. Elle estime que cette manière de travailler démultiplie les rendez-vous et le temps de prise en charge.
Toutefois elle décide de se plier aux méthodes du service même si cela lui ajoute deux à trois heures de travail par jour. « Je travaillais à la maison pour être sûre de remplir leurs attentes », se remémore-t-elle. Pour autant, elle ne remarque pas de changements de la part de ses collègues. Au contraire, leurs exigences vont crescendo.
« Je voulais me faire une place, mais quoi que je fasse, je n’arrivais pas éviter les reproches ». Pire, le cauchemar s’amplifie : consultations annulées sans son aval, remarques désagréables, pesant mépris ambiant… Stéphanie en parle à la direction, mais ne constate aucune réaction. Du côté de sa vie personnelle, les choses se compliquent. Elle doit affronter une séparation : « Mon conjoint n’en pouvait plus de me voir dans cet état », ajoute la médecin. Elle se retrouve alors seule avec un enfant en bas âge. « Comme beaucoup de médecins », estime la praticienne, elle se prescrit anxiolytique et antidépresseurs sans pour autant constater une amélioration de son état.
Ce jour-là, parler et être entendue m’a permis de repartir vers l’avant
Stéphanie*
Une journée qui change tout
C’est l’admission à l’hôpital de jour de Garches qui lui permet de faire un bilan complet en une journée, et de comprendre que ce n’était pas elle le problème. « Le matin, se remémore-t-elle, on rencontre un médecin du travail, une assistante sociale… L’après-midi nous assistons à une formation sur la manière de réagir. Cette journée m’a beaucoup aidée. Par le passé, j’avais rencontré un médecin du travail, mais il m'avait donné l’impression de ne pas être écouté. Ce jour-là, parler et être entendue m’a permis de repartir vers l’avant. »
Pendant un an, Stéphanie suit des séances de méditation avec sa psychologue, une pratique qui lui a permis de s’en sortir. « Cela m’a aidé à reprendre confiance, à réaliser que je n’étais pas un mauvais médecin. » Elle reprend même ses consultations dans le même hôpital, dans un autre service toutefois.
« J’ai repris plaisir à exercer mon métier », témoigne-t-elle. Pas de changement de pratique de son côté, au contraire la médecin s’est retrouvée dans sa manière d’exercer. « Pendant une période je devais aller vite pour être sûre de satisfaire les exigences administratives, quitte à mettre mes patients de côté. Maintenant je prends mon temps. Je vais à la rencontre des familles. Je mets en place des soins palliatifs, et tant pis si mon dossier n’est pas très bien rempli ! », reconnaît-elle avec aplomb.
Aujourd'hui, elle a pu réintégrer son service et partage son vécu qui pourra peut-être permettre à d’autres de ne pas s’enfoncer dans une situation difficile. « Pour éviter d’aller dans la zone rouge, il faut s’écouter, communiquer, et ne pas hésiter à remonter les problèmes », confie-t-elle. Selon la praticienne, les médecins ont du mal à anticiper ces situations, car bien souvent ils sont seuls, sans médecins traitants. « J'avais lu beaucoup d’études sur la relaxation, la méditation. Je pensais avoir les connaissances suffisantes, mais il est important de pouvoir parler avec quelqu'un d'extérieur, une personne qui porte sur vous un regard objectif », conclut-elle.
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