« Je fais mon travail de médecin » : en grève de la faim, le Dr Pascal André veut alerter sur la situation à Gaza

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Publié le 22/04/2025
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Depuis le 31 mars, une quinzaine de soignants, dont le Dr Pascal André, ont entamé une grève de la faim pour dénoncer la situation humanitaire et sanitaire à Gaza. À 62 ans, cet urgentiste de l’hôpital de Rodez assume une démarche qu’il estime profondément ancrée dans le serment d’Hippocrate.

Crédit photo : DR

Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

Je suis le Dr Pascal André. J’ai été infectiologue interniste pendant 30 ans au CHU de Montpellier, et depuis cinq ans, je travaille aux urgences de l’hôpital de Rodez, à 80 % – ce qui signifie en réalité que je travaille à 100 % quand je suis sur place voire un peu plus. Le reste du temps, je le consacre à la médecine solidaire. Tous les trois-quatre mois, je prends un mois pour partir en mission humanitaire.

Depuis deux ans, je me rends régulièrement en Palestine. Je devais d’ailleurs être à Gaza en ce moment, mais les accès nous ont été bloqués trois fois de suite. C’est dans ce contexte que j’ai lancé cette grève de la faim, une action mûrement réfléchie depuis un an, en accord total avec mon engagement médical.

Pourquoi avoir lancé une grève de la faim ?

Parce que je fais mon métier. J’essaie simplement d’être fidèle au serment d’Hippocrate, faire mon travail éthique, centré autour du droit, et soigner tout le monde de la même manière. Soigner, c’est panser les plaies, mais aussi comprendre pourquoi elles sont là. Comprendre pourquoi un patient est malade, pourquoi il est blessé. Quand on reçoit quelqu’un couvert de coups aux urgences, on ne se contente pas de le recoudre, on essaie de comprendre et d’agir pour qu’il ne soit plus battu.

Soigner, c’est panser les plaies, mais aussi comprendre pourquoi elles sont là

La même logique s’applique à Gaza. Ce n’est pas seulement une crise humanitaire, c’est une crise politique qui se joue, une atteinte massive au droit international, et un silence assourdissant de la France. Et ce que je constate, c’est que le droit international n’est plus respecté. La Cour internationale de justice a pourtant été très claire en parlant d’un risque de génocide (dans son arrêt du 26 janvier 2024, la CIJ évoque un « risque plausible », NDLR). Nous ne pouvons pas rester silencieux face à cela. En tant que médecin, notre devoir est d’être fidèles à notre serment, de soigner tout le monde, de dénoncer les violences, quelles qu’elles soient.

Comment s’organise concrètement votre mobilisation ?

Nous avons commencé le 31 mars à Marseille. Nous étions huit au départ, nous sommes désormais treize grévistes de la faim, et environ 200 jeûneurs nous soutiennent un peu partout en France. Nous avons déjà traversé plusieurs villes, nous sommes passés par Genève, et nous sommes en ce moment à Paris. Demain (mercredi 23 avril, NDLR), une audition est prévue devant la commission des droits de l’homme du Parlement européen à Bruxelles. Notre action est non violente, laïque, apolitique. Il n’y a pas de drapeaux, pas de slogans, simplement des êtres humains, soignants, rappelant que le droit oblige, que la médecine est un engagement éthique.

Vous avez évoqué vos tentatives récentes pour vous rendre à Gaza. Pouvez-vous nous en dire plus ?


J’ai tenté à trois reprises de me rendre à Gaza, sans succès. J’étais en Cisjordanie en 2023 et à nouveau en février 2024. Mes collègues soignants sur place m’ont dit : « Merci de venir, mais repartez chez vous, allez plutôt faire pression sur vos dirigeants. » Ils n’ont plus de matériel, plus de médicaments. L’hôpital européen de Gaza est à l’arrêt, l’aide humanitaire ne passe plus depuis début mars. Certains collègues tentent de contourner les blocages en passant par Amman, en Jordanie, pour rejoindre Gaza via Kerem Shalom (poste-frontière au sud de la bande de Gaza, NDLR]. Mais même là, tout est arbitraire. Nous avons des confrères à Gaza qui ont témoigné avoir été emprisonnés et torturés. Le directeur de l’hôpital Kamal Adwan est détenu depuis plusieurs mois (Hossam Abou Safiya, arrêté fin 2024 car soupçonné par l’armée israélienne d’être un militant du Hamas, NDLR). Et personne n’en parle.

Quel regard portez-vous sur la réaction de la communauté médicale française ?

Je suis très inquiet de son silence. En février dernier, avec 250 soignants – dont une vingtaine de retour de Gaza – nous avons interpellé l’Ordre des médecins (Cnom), le Comité consultatif national d’éthique (CCNE)… Aucune réponse, à l’exception d’un courrier vide de sens d’un membre du Cnom pour dire qu’ils étaient d’accord et qu’il ne fallait pas toucher aux soignants.

Pourtant, souvenez-vous de la guerre en Ukraine : quelques semaines après le début du conflit, le Conseil national de l’Ordre et le conseil européen de l’Ordre des médecins ont publié des communiqués clairs pour protéger les soignants et les hôpitaux. Là, rien. Dans mon propre hôpital à Rodez, beaucoup de médecins sont choqués de ce qu’il se passe mais personne n’ose parler.

Comment vous sentez-vous physiquement depuis que vous avez entamé votre grève de la faim ?

Cette grève de la faim est douloureuse, physiquement et moralement. Ça ne m’amuse pas de faire ça. Je suis très affaibli, j’ai perdu 12 kg mais je ne peux plus faire semblant. Je ne peux pas vivre avec ça. Ce silence des autorités est des plus coupables. Je devais en principe reprendre le travail en début de semaine. Mais vu mon état, ce n’est pas possible. J’espère reprendre mi-mai, du moins si les choses avancent.

Propos recueillis par Aude Frapin

Source : lequotidiendumedecin.fr