Tribune

Vulnérabilités en santé : un « enjeu majeur trop longtemps négligé », plaide un nouvel institut

Publié le 19/11/2024

Ce 20 novembre 2024 à Dijon se tient un colloque pluridisciplinaire, qui marque le lancement de l’Institut des vulnérabilités à partir d’une association créée en 2022. Ses responsables appellent à repenser le système de soins pour accompagner les situations de handicap ou de fragilité générées, paradoxalement, par les progrès de la médecine.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

La question des vulnérabilités en santé, longtemps mise de côté dans les débats publics, ne peut plus être ignorée. Aujourd’hui, elle s’impose avec force, portée par deux réalités : l’allongement de la durée de vie et l’augmentation des maladies chroniques, deux conséquences des progrès dans le domaine de la santé et des avancées techniques et scientifiques de la médecine.

En France, 20 millions de personnes vivent avec une maladie chronique, 4 millions sont atteintes de cancer et des milliers souffrent des séquelles d’accidents traumatiques. Face à ces constats, plusieurs questions émergent : avons-nous tous conscience de ce que cela représente vraiment ? Notre système de santé est-il prêt à y répondre ? Comment aider ces millions de personnes à préserver leur autonomie ? Sommes-nous capables de dépasser les discours pour offrir des solutions concrètes à ces défis croissants ?

Des situations de vulnérabilité générées par la maladie et les traitements

Les avancées médicales ont révolutionné nos existences, permettant à des millions de personnes de survivre à des maladies autrefois létales. Cela est indéniable ! Cependant, si les traitements sauvent des vies, ils peuvent aussi transformer certaines maladies en affections chroniques, laissant des séquelles après leurs premiers dommages et pouvant eux-mêmes entraîner des effets indésirables. Il en résulte des situations de vulnérabilité pour les personnes qui peuvent éprouver des conséquences physiques (handicap secondaire, perte d’indépendance), sociales (difficulté à poursuivre une vie professionnelle ou sociale), psychologiques (altération de l’image de soi, souffrance existentielle). Et ces éléments sont souvent mêlés.

Cet angle mort du progrès reste trop souvent ignoré, alors même que ces situations sont souvent source de souffrance non seulement pour les patients, mais aussi pour leurs aidants et les professionnels de santé qui se retrouvent impuissants face à la difficulté de trouver des réponses adaptées. Vivre avec une maladie chronique ou des pathologies simultanées est une réalité ! Si chaque année 40 000 personnes survivent à un accident vasculaire cérébral, beaucoup d’entre elles auront des séquelles importantes (troubles moteurs, cognitifs…). Et que dire de la chimiothérapie ou de la radiothérapie qui laissent tant de corps affaiblis !

Si les traitements sauvent des vies, ils peuvent aussi transformer certaines maladies en affections chroniques, laissant des séquelles

Une responsabilité de notre système de santé et de notre société.

Notre système de santé se focalise prioritairement sur les soins et traitements à la phase aiguë de la maladie. Mais force est de constater que sans un suivi médical, social et psychologique, voire des traitements rééducatifs, les situations de vulnérabilité s’aggravent, se compliquent et engendrent une « réentrée » plus ou moins précoce dans le système de soins. Du fait de la pluralité des situations de vulnérabilité, chaque cas est unique et nécessite un accompagnement personnalisé. Or, notre système de santé actuel souffre d’une démarche standardisée, normée et compartimentée des soins : ce modèle ne répond plus à la complexité que représentent les situations de vulnérabilité. Il est nécessaire de réorienter vers une approche interdisciplinaire, où chaque patient est reconnu comme un partenaire à part entière dans les décisions qui le concernent. Il s’agit de co-construire le parcours de santé en tenant compte des besoins, des attentes et de l’expertise acquise par les personnes en situation de vulnérabilité liée à leur santé.

Le système de santé a une responsabilité sociale qui passe par l’impérieuse nécessité d’accompagner les personnes qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité liée à la santé. Prolonger la vie ne suffit plus, il faut aussi assurer un suivi adapté et durable du patient ou de la personne. La charte d’Ottawa qui promeut une santé englobant un état complet de bien-être physique, mental et social aura 40 ans en 2026 : il serait temps d’en tenir compte !

Prolonger la vie ne suffit plus, il faut aussi assurer un suivi adapté et durable de la personne

Il y a également un enjeu majeur à faire évoluer le regard que notre société porte sur les personnes malades, handicapées, âgées, fragiles, en luttant contre les préjugés et les normes sociales contemporaines, qui valorisent notamment la performance physique et cognitive.

En conclusion, la vulnérabilité liée à la santé ne doit plus être vue comme un dommage collatéral ou une fatalité. C’est une réalité avec laquelle des millions de personnes doivent composer au quotidien. Il est impératif de repenser notre système de santé pour qu’il ne laisse plus ces personnes en souffrance, mais qu’il les accompagne pleinement, en considérant leur complexité et leurs besoins spécifiques, il faut permettre aux patients de devenir des acteurs à part entière de leur parcours de soins, en co-construisant avec eux des réponses adaptées à leur situation. Repenser le soin, c’est redonner du sens à la pratique des professionnels de santé, qui, eux aussi, questionnent la finalité de leur engagement, dans un système de santé en crise.

Pr Régis Aubry, professeur de médecine à l’université de Bourgogne-Franche-Comté, membre du Comité consultatif national d’éthique, président fondateur de l’Institut pour la prévention des vulnérabilités liées à la santé (IPVS), France Mourey, professeure et chercheuse au sein du laboratoire Inserm 1093 - CAPS de l'Université de Bourgogne-Franche-Comté, Marie-Catherine Ehlinger, vice-présidente de l'IPVS et présidente de France Assos santé en Bourgogne Franche-Comté

Source : lequotidiendumedecin.fr