LE QUOTIDIEN : Pourquoi avez-vous fondé cet institut ?
Pr RÉGIS AUBRY : En tant que clinicien, enseignant chercheur, homme impliqué dans les politiques nationales sur la fin de vie, j’observe les zones d’ombre du progrès, dont les bienfaits sont par ailleurs indiscutables. On guérit aujourd’hui de maladies qui étaient avant incurables. Mais la médecine engendre aussi la possibilité de vivre sans guérir, avec des séquelles liées à la maladie ou aux traitements.
Il existe toute une population de personnes présentant une altération de leur santé, une dépendance fonctionnelle, une impossibilité de raisonner (pensons à Vincent Lambert) qui, pour d’aucuns, peuvent en souffrir.
Notre système de santé n’accompagne pas les situations qu’il a contribué à générer et qui peuvent être d’autant plus douloureuses que nous sommes dans une société qui valorise le fait d’être rentable, productif… Cela crée aussi chez les soignants une souffrance éthique. Il me semble qu’il y a une responsabilité sociale du système de santé à se pencher sur ces questions de vulnérabilités liées à l’état de santé.
Comment définir ces vulnérabilités ?
C’est un large champ, qu’il faut explorer. Nous considérons qu’elles ont une composante physique (dépendance fonctionnelle, douleur post-opératoire, fragilités) mais aussi sociale (car la situation peut entraîner des difficultés à reprendre un travail, une vie sociale), psychologique (modification du rapport à soi, dépression, syndrome post-traumatique…) ou encore environnementale (plus on est vulnérable, plus on se retrouve seul, et inversement, la solitude peut aggraver la vulnérabilité de la personne). Faute d’accompagnement, les personnes s’aggravent et rentrent à nouveau dans le système de soin ; la complexité s’ajoute à la complexité, entraînant des coûts et de la souffrance.
Comment mieux appréhender ce paradigme des vulnérabilités ?
C’est tout le projet de l’Institut qui repose sur un trépied. Le premier volet est une expérimentation que nous lançons ce début de semestre. Nous allons solliciter des fonds de l’article 51 (qui promeut les organisations innovantes), mais nous avons déjà les financements de l’agence régionale de santé. Il s’agit de dépister les situations de vulnérabilités, d’abord à l’hôpital, en l’occurrence, le CHU de Besançon. Un rééducateur, une psychologue et une assistante sociale interviendront en même temps. Le trio posera un diagnostic à l’aide d’une échelle d’évaluation sur laquelle nous travaillons. Puis il proposera un suivi personnalisé au patient, adapté à sa situation et son environnement pour prévenir l’aggravation. Nous travaillons avec les dispositifs d’appui à la coordination, les CPTS, ainsi qu’avec une infirmière en pratique avancée et un patient expert pour coordonner les parcours et suivre les patients. Une façon d’accompagner des situations qu’on a fabriquées.
Le deuxième volet est la création d’un observatoire des vulnérabilités, pour laquelle nous sommes aidés par la Fondation de l’Avenir. L’enjeu est de quantifier et de décrire ce phénomène précisément (par exemple, savoir s’il vient de séquelles d’accident vasculaire cérébral, de pathologies liées à l’âge, etc.).
Enfin, le troisième objectif est de développer la recherche, d’où l’importance du colloque du 20 novembre qui a croisé les regards entre médecine, droit et sciences humaines et sociales. Nous pensons que nous pouvons réformer notre système de soins en modifiant les organisations de la recherche.
Pour l’instant, notre Institut repose sur une association créée en 2022, mais nous souhaitons évoluer vers un fonds de dotation pour soutenir la recherche.
Vous parlez d’interdisciplinarité mais que peut faire un médecin seul, à son échelle ?
Nous souhaitons que l’équipe de soins primaires puisse signaler ces situations et nous aide à évaluer les patients.
Il est important d’aider le généraliste à travailler avec un collectif, par exemple, en se tournant vers les dispositifs d’appui à la coordination, dont le maillage s’étoffe. Il y a aussi les CPTS, les URPS…
Le médecin traitant, même débordé, reste un référent de confiance pour le patient. Il doit pouvoir mobiliser ce savoir sur les vulnérabilités. Or il n’est pour l’heure pas enseigné, ni même identifié.
Il faut aussi que soit reconnu et valorisé ce temps interdisciplinaire.
Réformer le système de santé, n’est-ce pas une ambition immense ?
J’ai 65 ans, et, je suis un universitaire, j’ai passé toute ma vie à douter, avec le souci de réenchanter le système de santé à terme. Je suis président de la session technique du comité consultatif national d’éthique (CCNE), son avis 140 parlait de ces problématiques et un futur travail sortira sur les situations de vulnérabilités ; je participe aussi à des groupes de réflexion sur le système de santé au sein du Haut Conseil de la santé publique.
Ces problématiques sont de plus en plus prises en compte, la Défenseure des droits s’y intéresse. Les approches interdisciplinaires sont mieux reconnues. Mais les changements sur le terrain prennent du temps. Et l’instabilité parlementaire, politique, empêche d’avoir une réflexion de fond. Le temps politique ne croise pas le temps de la réforme.
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