LE QUOTIDIEN : Comment les avancées scientifiques modifient-elles la prise en charge des maladies neuro-évolutives ?
FABRICE GZIL : La maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques ou la maladie à corps de Lewy sont à la fois différentes et similaires. Elles se déclarent après des années de progression plus ou moins silencieuse, ponctuées de signes infracliniques. Aujourd'hui, de nombreux travaux sont menés pour essayer de les détecter le plus tôt possible. Ces diagnostics très précoces ou pré-symptomatiques pour des maladies pour lesquelles il n’existe pas ou peu de traitements efficaces soulèvent des questions nouvelles. En même temps, lorsque l’on a peu de ressources thérapeutiques, il faut les tester. Jusqu'à quel point les personnes cibles doivent-elles s'engager ou non dans des essais cliniques ?
Dr PERRINE MALZAC : De nombreux outils de dépistage par imagerie, marqueurs biologiques ou tests génétiques sont apparus, de plus en plus efficaces, avec d’excellentes capacités prédictives, lors des premiers signes, ténus, de la maladie, comme de légers troubles de la mémoire pour Alzheimer. Or c’est l’une des maladies pour lesquelles on a le moins de traitements efficaces. Quand un patient consulte pour des troubles de mémoire mineurs, que fait-on ? Par ailleurs, ces outils seront d'autant plus performants qu'on les aura testés sur un plus grand nombre de personnes. À côté de l’enjeu diagnostique, on est dans une démarche d'amélioration des outils en prévision du jour où existera un traitement efficace, avant l’apparition des premières lésions.
Les diagnostics très précoces ou pré-symptomatiques pour des pathologies qui n’ont pas ou peu de traitements efficaces soulèvent des questions nouvelles
Fabrice Gzil
Diriez-vous qu'il y a un consensus sur ces questions ?
Dr P. M. : Non, il n'y a pas vraiment de consensus. C'est discuté, et naturellement, en pratique clinique courante, ces outils ne vont pas être utilisés. Des neurologues estiment qu’il faut réaliser ces tests de diagnostic précoce pour les améliorer, en laissant le choix aux patients d’y accéder. D'autres estiment au contraire qu’il est trop tôt pour les déployer au regard des thérapeutiques disponibles limitées. C'est d'autant plus débattu que les experts sont à la fois médecins et chercheurs. Parfois, c'est le médecin qui parle, parfois le chercheur, et parfois les deux en même temps.
F. G. : Le soutien inconditionnel des politiques publiques à la réflexion éthique a permis de capitaliser sur les réflexions initiées il y a plusieurs années, avec de vrais arbitrages, notamment celui de ne pas organiser de dépistage de la maladie Alzheimer. C'est au mieux une détection précoce, mais pas un dépistage en population générale, avec cette particularité que les outils combinés de la biologie, de l'imagerie et de la génétique permettent de détecter un risque de plus en plus tôt, avec des thérapeutiques qui, pour l'instant, s'avèrent peu efficaces. On est ainsi face à un paradoxe. L’enjeu est d’établir le diagnostic « au moment opportun », avec une demande de la part du patient ou de ses proches, et un degré de certitude suffisant au plan médical pour une annonce. De nouvelles définitions de la maladie ont été proposées il y a quelques semaines, qui articulent éléments biologiques et cliniques.
Quelles sont les nouveautés thérapeutiques et les espoirs qu’elles soulèvent ?
F. G. : Le 14 novembre, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a donné son feu vert, quelques mois après un refus, à la mise sur le marché d'une immunothérapie anti-amyloïde, le lécanémab (Leqembi), pour la maladie d’Alzheimer. L'EMA s’aligne ainsi sur l’agence américaine du médicament (FDA), le Japon et le Royaume-Uni. Les Britanniques ont choisi de le mettre sur le marché mais de ne pas le rembourser. C’est en effet l’une des premières classes à agir sur le processus pathologique, et pas seulement les symptômes, mais au prix d'effets secondaires importants et d'un bénéfice clinique limité puisqu’on ne peut que ralentir le déclin des patients sur 18 mois d'environ 30 %. Cette autorisation promet de questionner nombre de médecins, de patients et leurs proches.
Une nouvelle ère s’annonce-t-elle ?
F. G. : Oui, en ce qui concerne la maladie d’Alzheimer, avec un frémissement au niveau des thérapeutiques. Même si elles ont un effet très modeste et des effets secondaires importants, il semble que la période des vingt dernières années, avec des essais et des échecs, est un peu derrière nous. D’autres médicaments vont sans doute arriver, avec des caractéristiques similaires probablement, une efficacité limitée, des effets secondaires et un coût non négligeable pour la société… De plus, toutes ces thérapeutiques ont pour l'instant été testées chez des patients avec une maladie d'Alzheimer débutante. Ce qui déplacera sans doute le curseur du « bon » moment lorsque des traitements précoces seront plus largement disponibles.
Les questions éthiques ne se posant pas de la même façon que l’on soit soignant ou soigné, comment faire « réponses communes » ?
Dr P. M. : Partir des questionnements des patients permet d'aborder différemment les dilemmes liés aux maladies neuro-évolutives. Si les différents acteurs sont toujours représentés lors de nos universités d'été, cette année, nous avons fait le choix de laisser plus encore la parole aux patients et à leurs proches. Sur des questions sur lesquelles on ne tranche pas, puisque ce sont précisément des dilemmes n'offrant aucune solution pleinement satisfaisante, il est essentiel de remettre chaque fois au centre le patient, dans ce qui fait sens et lien pour lui. De ne pas se laisser éblouir par des technologies. Multiplier les points de vue module, voire réforme, certains avis trop péremptoires que l'on pourrait avoir en tant que soignants.
Pour des dilemmes sans solution pleinement satisfaisante, il est essentiel de remettre le patient au centre
Dr Perrine Malzac
F. G. : Un patient peut par exemple dire : « Au stade où je suis, je comprends à quoi sert ce bracelet que j'ai autour du bras. Je sais qu’il sonnera si je sors d'un certain périmètre pour permettre à mon conjoint de me retrouver si je suis perdu dans le quartier ». Il pourra exprimer que ce n'est pas une atteinte à sa liberté mais quelque chose qui, au contraire, lui permet de faire des choses seul. On découvre alors qu'il n'y a pas nécessairement d'objection a priori par rapport à ce type de dispositif. Cela peut renforcer à la fois la sécurité et la liberté. Ce que les patients disent aussi, c'est que le jour où ils ne comprendront plus la fonction de ce bracelet et son service rendu, il faudra probablement des vigilances supplémentaires pour éviter certaines dérives… Le risque pourrait être de substituer une technologie à une vigilance humaine. Ce qui demanderait des garanties différentes.
Quelles sont les difficultés sur la question de la fin de vie, qui devrait être de nouveau débattue à l’Assemblée nationale en février ?
F. G. : Les patients atteints d'une maladie neuro-évolutive n'ont pas beaucoup d'occasions de parler du futur. En Ehpad, beaucoup aimeraient qu'il soit plus facile d’évoquer la suite, et aussi la fin. Combien, à l’évocation de leur mort, s’entendent répondre : « ce n'est pas tout de suite, ce n'est pas pour demain, vous n'êtes pas bien ici ? ». Le sujet reste difficile à aborder. Parler de sa mort ne veut pas dire l’envisager ni la souhaiter à court terme (cela reste très rare), c’est aussi se projeter dans les prochaines étapes de la maladie. Il faudrait réussir à accroître notre capacité d’écoute, à même de rassurer sur l’angoisse que constitue la perte de repères spatio-temporels.
La question du consentement semble complexe dans les maladies neuro-évolutives…
F. G. : Si consentir signifie comprendre la situation dans laquelle on est, arrive un moment où les personnes n’ont plus le discernement requis pour prendre une décision authentiquement éclairée, que cela concerne leur traitement médical, leur lieu de vie, leurs finances… J'ai beaucoup travaillé avec les notaires cette question de l'appréciation de la capacité décisionnelle, que ce soit en matière de santé ou d'argent. On dispose aujourd’hui d’outils, comme celui développé par des psychiatres américains (questionnaire MacCAT-T), pour essayer d'apprécier au mieux les capacités à consentir et le discernement des personnes atteintes de ce type de maladie. Il faut passer d’une logique stricte de consentement à une logique d’assentiment. Et protéger les personnes vulnérables de toute « influence abusive » de la part de tiers. Il faut défendre les valeurs, les souhaits, les goûts, respecter ce qui fait sens pour la personne ne pouvant plus les traduire en actes et décisions.
Quels sont les défis et perspectives à venir ?
F. G. : Ces maladies, qui mettent à l'épreuve jusqu'à la conscience de soi, requièrent une extrême délicatesse. On doit privilégier l'énonciation d'une réalité, si besoin par petites touches, à la révélation d’une « vérité absolue ». Le résultat sera le même : la maladie évolutive va avoir des conséquences sur l'autonomie fonctionnelle, la cognition, la qualité de vie, l'indépendance, etc. Mais chaque personne donnera sa propre signification existentielle à ce qu’elle traverse. Ce pas de côté permet de libérer un peu d'espace pour aborder les choses au rythme souhaité par la personne et ce qu’elle peut accepter à un moment donné sans s'effondrer. Et tout ce que l’on a appris des maladies neuro-évolutives peut éclairer utilement de nombreuses autres situations, lorsque des personnes se retrouvent en situation, même temporaire, de vulnérabilité.
Pour aller plus loin : Conférence nationale des espaces de réflexion éthique régionaux : www.cnerer.fr
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