Un parcours du soins digital, vous en avez rêvé ? Pourquoi vos rendez-vous intéressent les start-up en e-santé ? Avec des stratégies différentes, ces dernières l’utilisent comme porte d’entrée vers un marché bien plus large. En mettant un pied dans les agendas digitaux hospitaliers avec succès, les start-up proposent un couteau suisse d’outils digitaux dans le cadre de l’hôpital. L’objectif est de tout faire pour faciliter la relation entre le médecin libéral et l’hôpital. Chacun use d’une stratégie différente. Doctolib s’appuie sur sa force de frappe (700 salariés, 1 200 fin 2019) bien implantée sur tout le territoire au niveau de la médecine de ville, avec un développement international qui a déjà commencé en Allemagne. Son développement technologique est mené en interne. Keldoc* qui a dix fois moins de personnel que Doctolib, travaille en étroite collaboration avec les autres sociétés digitales du groupe Nehs auquel elle appartient, soit plus de 500 collaborateurs dont 75 commerciaux qui proposent différentes solutions et services logiciels au secteur de l’hôpital comme Acetiam en télémédecine et téléradiologie. Enfin, les éditeurs de SIH dont Maincare et Medasys misent soit sur leur implantation au sein même des établissements à partir de leur SIH, soit sur des partenariats avec des services externes pour déployer d’autres solutions telles que la prise de RDV en ligne.
« 100 % de notre modèle économique est fondé sur le logiciel et les services liés que nous apportons aux praticiens et aux hôpitaux, explique Stanislas Niox-Château, le fondateur de Doctolib. La prise de RDV en ligne ne représente que 1 % de ce que nous sommes capables de faire. En plus de ce service, nous proposons aux praticiens et aux établissements un logiciel complet qui leur permet d’améliorer l’efficacité de leur organisation (en réduisant de 30 % leur temps administratif et divisant par 4 le nombre de RDV non honorés), de configurer finement leur activité de consultation, d’améliorer la communication avec les patients et de renforcer leur coopération avec les autres praticiens et établissements. »
Ainsi, chaque start-up a ses atouts : Keldoc* est allée voir directement les hôpitaux pour leur proposer sa solution. « Nous sommes beaucoup mieux implantés dans le parcours de soins grâce à notre groupe [Nehs], et dans un maillage de solutions plus poussé. Keldoc est par exemple positionné comme le concentreur de l’ensemble des RDV de l’hôpital ou du GHT. Nous avons déjà rencontré tous les hôpitaux pivots des GHT et leurs CH sans oublier les cliniques. Au-delà des appels d’offres que nous scrutons, nous sommes référencés chez UniHA et l’Ugap », indique Frédéric Serein, DG de Nehs Digital.
La prise de RDV médicaux en ligne ne serait donc qu’un porte d’entrée vers des services bientôt beaucoup plus juteux. Doctolib investit par exemple dans le lien entre la médecine de ville et l’hôpital grâce à une fonctionnalité permettant aux praticiens de s’adresser des patients et d’échanger des messages et des documents de manière sécurisée. Quant à Keldoc, qui met en avant un modèle économique de profitabilité partagée, des fonctions sécurisées d’échange et de partage existent par utilisation des solutions du groupe Nehs. Ainsi la plateforme permet un accès aux documents relatifs aux patients ayant un RDV (séjour, comptes rendus). Moins connue du grand public que Doctolib, Keldoc bénéficie d’une bonne image à l’hôpital et est capable de proposer une porte d’entrée très solide sur laquelle viennent se plugger de nouveaux services (prise de RDV en ligne, actualité santé...). Sont ainsi réunis trois portails, patient, médecin, prise de RDV en ligne, ayant séduit la principauté de Monaco qui vient de donner le marché à Keldoc, concernant la mise en place d’une plateforme santé. Ce marché représente 200 médecins libéraux et quatre établissements de santé (le centre hospitalier Princesse-Grâce de Monaco, le centre cardio-thoracique dit CCTM, un centre de dialyse et un centre IM2S), soit en tout 450 praticiens. La start-up est aussi sur le point de contractualiser avec plusieurs autres hôpitaux et GHT.
Pour autant, Doctolib a décroché le gros lot avec avec l’appel d’offres sur l’AP-HP en 2017. Le plus grand établissement hospitalier emploie 12 298 médecins (chiffres du rapport d’activité 2017) et enregistre quatre millions de consultations par an. Depuis le lancement du projet, plus de 200 000 consultations ont été prises en ligne. Début janvier 2019, une étude réalisée par la chaire Hospinnomics (AP-HP et École d’économie de Paris) analyse l’impact du projet : un mois après son installation, la hausse de rendez-vous honorés était de 11 % pour tous les patients et de 7 % pour les primo-consultants. Et surtout le nombre de RDV auxquels le patient ne se présentait pas diminuait de près de 8 %. Et 60 % de ceux qui sont annulés sont reconvertis en nouveaux RDV.
Bataille de chiffres
En ce qui concerne les parts de marché, 130 établissements travailleraient avec Doctolib, dont une dizaine de CHU (l’AP-HP, l’AP-HM, Brest, Lille, Metz, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Rouen), et une trentaine pour Keldoc. Avec des prix connus pour Doctolib : « Nous vendons notre agenda 109 euros par mois et par praticien libéral et 30 à 50 euros par mois par praticien hospitalier qui a un nombre de consultations plus faible que le médecin libéral. » Pour Keldoc, le prix pour la médecine libérale est de 40 euros TTC. Leurs forfaits facturés aux hôpitaux sont variables et dépendent de l’appel d’offres et de la demande de l’établissement. Par exemple, certains hôpitaux paient à l’usage, en fonction de la consommation de RDV en ligne et de sms envoyés.
Concurrence agressive de Doctolib ?
Ce succès du leader Doctolib ne fait pas que des heureux : ses concurrents dénoncent une politique agressive de sa part en cassant les prix et en survendant son succès. La start-up RDVmédicaux a même saisi l’Autorité de la concurrence en décembre dernier, regrettant le manque de transparence dans l’appel d’offres de l’AP-HP et l’impact concurrentiel qu’aurait eu cet accord. Selon Raphaël Beaufret, directeur du pilotage et de la transformation de l’AP-HP, la situation avec RDVmédicaux s’est apaisée après des échanges avec eux : « Nous pourrions en arriver à des systèmes multi-attributaires, où il serait possible de prendre un rendez-vous dans un établissement depuis plusieurs plateformes à la fois. » Le marché de Doctolib à l’AP-HP devrait faire l’objet d’un renouvellement en 2020. Ce contexte concurrentiel acharné entre start-up dédiées aux prises de RDV médicaux en ligne n’arrive pas non plus par hasard. Avec son nouveau programme HOP’En, les pouvoirs publics financent les investissements numériques à hauteur de 420 millions d’euros jusqu’en 2022. De plus, selon Charles Guépratte, DG du Chu de Nice, qui utilise l’agenda Doctolib, « la maturité des systèmes les rend beaucoup moins chers et beaucoup plus simples. Avec 10 millions d’euros de bâtiment, vous ne faites rien ; avec 10 millions en informatique désormais, vous faites beaucoup ».
Cet enthousiasme du DG du Chu de Nice se retrouve aussi chez le Pr Jérôme Delotte, chef de pôle femme-mère-enfant, le premier pôle à avoir ouvert ses agendas à Doctolib en octobre 2018 : « C’est comme si quelqu’un avait ouvert la porte du CHU qui se retrouve dans votre smartphone. C’est dommage que le lien ville-
hôpital n’ait pu se faire que par un opérateur privé comme Doctolib ! » Pour ce service de maternité de niveau 3 qui accueille 3 300 accouchements par an et réalise plus de 1 500 blocs par an, il était devenu urgent d’augmenter le taux de décrochés qui n’était que de 15 % au niveau du secrétariat téléphonique. En conséquence, depuis l’installation de Doctolib, les plateformes téléphoniques ne sont plus encombrées. L’avantage d’avoir contracté avec Doctolib, souligne Jérôme Delotte, c’est que tous les médecins qui ont des consultations libérales à l’hôpital, étaient déjà tous clients de Doctolib.
Même satisfaction envers la plateforme Doctolib déployée depuis début novembre 2018 au Chu de Nantes sur deux services pilotes, la biologie-médecine de reproduction et le centre Simone-Veil IVG, planification et éducation familiale. Les résultats sont probants : 418 RDV ont déjà été pris en ligne sur ce premier service fin 2018. En 2019 seront déployées les activités sur le site principal de l’Hôtel-Dieu, soit la maternité, la pédiatrie et une grande partie des services de MCO de l’établissement. En 2020, les autres sites du CHU seront déployés.
Augmenter les consultations
L’enjeu de la prise de RDV médicaux en ligne n’est pas seulement l’amélioration de la qualité de la prise en charge pour les patients. Selon Rodrigue Alexander, directeur adjoint au CH d’Arles qui a choisi comme prestataire Keldoc, « nous considérions que l’interface insuffisante avec la médecine de ville pouvait se traduire par une activité moindre et donc par une baisse des recettes. En améliorant ce processus, nous augmentions par la même occasion notre activité et nos recettes ». Son établissement a été séduit par la gamme de services proposés par cette start-up dont le rappel par sms. Auparavant, alors que le taux de pertes d’appels pouvait aller de 35 à 75 % selon les spécialités, certains patients devaient se déplacer pour prendre RDV. Dans cet établissement, deux projets ont été lancés en même temps : la mutualisation des prises de RDV téléphoniques sur quatre spécialités pilotes (urologie, chirurgie viscérale, orthopédie, gynécologie) et la digitalisation des secrétariats médicaux avec la mise en place d’agendas électroniques. « Keldoc nous a permis de supprimer les agendas papier et de décloisonner les organisations en donnant la possibilité aux secrétaires de l’établissement d’accéder à la planification des RDV des autres spécialités médicales », explique Rodrigue Alexander. La souplesse du système permet déjà de paramétrer l’agenda avec des motifs de prise en charge : « Par exemple, un patient qui vient en orthopédie pour un problème d’épaule se verra proposer un RDV avec un spécialiste de l’épaule. »
Ubérisation de la santé ?
D’autres acteurs se positionnent autrement, les éditeurs de SIH. « Le contexte de la mise en place des GHT et de la prise en compte des territoires y est favorable, explique d’emblée Christophe Boutin, PDG de Maincare Solutions. Des horizons ont été ouverts avec de nouveaux projets de coordination territoriale avec tous les partenaires, y compris les médecins de ville, les Ehpad et bien entendu les patients eux-mêmes », insiste-t-il. Pour Ibrahima Sidibe, directeur stratégie développement de Dedalus France (anciennement Medasys), « la prise de RDV en ligne a été le premier pas vers l’überisation de la santé avec l’apparition des start-up comme Doctolib. Ces acteurs se sont heurtés à la problématique de l’intégration au SIH pour laquelle ils ont dû mettre en place des partenariats ».
Connecteurs API/solutions
À l’heure de l’interopérabilité, le groupe Dedalus a choisi de mettre en place un ensemble de connecteurs (API) qui permettent aux start-up de développer des usages au-dessus du socle de l’écosystème Dedalus. Dans cette lignée, pour ne pas dupliquer ses agendas, cet éditeur a établi un connecteur reliant ses solutions avec celles de Doctolib. Avantage, les informations rentrées par le patient sur Doctolib lors de la prise de rendez-vous sont automatiquement envoyées vers DxPlanning (solution Dedalus) et le dossier patient. En témoigne l’exemple de l’AP-HP qui a conservé le module de gestion de RDV de son dossier patient informatisé (Orbis, Agfa Healthcare) comme référentiel des créneaux et des RDV de consultation : « Doctolib est interfacé à Orbis pour permettre aux patients de prendre RDV sur les plages disponibles. Cela fait moins d’outils différents à gérer », explique Raphaël Beaufret. En outre, Keldoc réalise cette intégration pour le CHI de Créteil.
Christophe Boutin évoque pour Maincare Solutions « l’existence d’IdéoPlan, un hub de RDV territorial, véritable chef d’orchestre des prises de RDV, qui maintient un lien bidirectionnel et comprend en même temps les vacations, les RH, les actes planifiables »... Cette plateforme a été mise sur le portail du Chu de Poitiers. Autre succès de Maincare Solutions, a été signé un partenariat de plateforme de RDV en ligne commune avec Doctolib sur deux GHT, les hôpitaux de Saint-Denis, Montfermeil et Aulnay (93). Selon Christophe Boutin, « Doctolib est utilisé pour la prise de RDV externe mais la coordination des outils de planifications intra-hospitaliers reste dans nos outils ». Au final, les hôpitaux gardent de grandes marges de manœuvre dans le choix du prestataire. Et inscrivent la prise de RDV dans un contexte global de digitalisation, en gardant à l’esprit la maxime : « Ne pas mettre ses oeufs dans le même panier », pour voir loin.
* Ayant pour actionnaire Nehs, comme Décision & Stratégie Santé.
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